mercredi 13 mai 2009

Geste à l'italienne

Cette année-là, nos vacances d’hiver nous amènent au soleil du Costa Rica en compagnie de nos amis Suzie et Rodolphe. Selon l’agence de voyage nous devons nous joindre à un groupe de touristes à San Jose pour un grand tour du pays.

Le groupe se limite à six. À nous quatre s’ajoute un couple montréalais, Micheline et Georgio. Les premiers jours du tour ceux-ci restent discrètement à l’écart malgré nos invitations à se joindre à nous.

Un soir, Claude invite Georgio à prendre l’apéro au bar de l’hôtel. Idée géniale qui fait fondre la glace. Il apprend que Georgio est d’origine italienne et dirige à Montréal un atelier de manteaux haut de gamme pour hommes. Il vient d’ailleurs de livrer à New York les paletots en cachemire que porteront les acteurs du film Le Parrain. À partir de ce moment Georgio et Claude deviennent copain-copain.

Quand tu viendras à Montréal j’aurai un cadeau spécial pour toi.

Lorsque Claude me rapporte cela je le préviens :

Ne compte pas sur une promesse faite un verre à la main.

J’avais tort.

Quelques temps après notre retour au pays, lors d’un passage à Montréal nous donnons un coup de fil à Georgio et Micheline pour prendre de leurs nouvelles. Ils nous convient pour un apéritif. En entrant chez eux je vois une table dressée dans la salle à manger, signe manifeste de leur intention de prolonger la rencontre. Repas généreux, délicieux et bien arrosé.

Au moment de notre départ, Georgio ouvre une penderie, en sort un manteau de cachemire gris et le fait essayer à Claude.

J’espère avoir la bonne taille… C’est pas mal, mais essaie aussi celui-là.

Ce deuxième est un manteau noir de cachemire plus fin comme en portera Marlon Brando dans le film cité plus haut.

Claude ne sait pas comment prendre la chose…

Lequel choisir? demande-il, en sortant son chéquier?

Georgio refuse tout paiement.

C’est un cadeau… et il lui tend les deux manteaux.

Nous sommes confus devant tant de générosité à l’italienne.

En boutade, j’ose dire :

Dommage que tu ne fasses pas de manteaux pour les femmes.

En souriant Georgio ajoute à l’intention de Claude qu’il aurait dû en apporter un autre plus sport.

De retour à Jonquière, un courrier spécial livre pour Claude le modèle sport oublié et pour moi un élégant manteau rouge.

Comment les remercier pour tant de largesse?

Nous les invitons à venir visiter notre région qu’ils ne connaissent pas au cours de l’été. Claude prend congé et organise une excursion en bateau sur le Saguenay suivie d’un repas au Privilège, le restaurant gastronomique de Chicoutimi.

Le lendemain, visite de mon atelier. Je les invite à choisir un tableau. Micheline est attirée par un et Georgio par un autre. Devant leurs hésitations, d’un geste à l’italienne rappelant celui de Georgio :

Les deux sont à vous.

Lorsque nous sommes revenus les saluer à Montréal j’ai été émue de voir mes tableaux placés bien en vue dans leur demeure.

dimanche 10 mai 2009

Sœur Georges-Antoine

Dès mon arrivée en 1946 à l’École normale de Nicolet dirigée par les Sœurs de l’Assomption, une religieuse attire mon attention. Elle s’appelle Georges-Antoine. D’allure altière, elle transcende parmi les autres, elle impose le respect et intimide à la fois. Son statut de musicienne-organiste la place déjà à part, mais en plus elle a deux frères prêtres dont un est évêque. Ce qui l’ennoblit pour l’éternité.

Monseigneur Georges Melançon est l’évêque dont il s’agit. Il est à la tête du diocèse de Chicoutimi, donc mon évêque. Cette appartenance me vaut de la part de sa sœur une attention privilégiée. D’emblée elle m’accueille dans la chorale et me retient parfois après les pratiques pour me donner des nouvelles du Saguenay et me faire entendre de la musique classique.

À l’époque le grégorien était le chant liturgique de l’Église. Chant mélodique d’une grande qualité mystique. Avec Georges-Antoine j’appris à le chanter et à faire la lecture de ses neumes, notes de forme carrée. À la fin de l’année elle amenait ses bonnes élèves passer leur degré au monastère bénédictin de Saint-Benoit-du-lac. J’ai vu là comment cette religieuse était tenue en haute estime par le prieur Dom Mercure. Ce dernier était aussi un personnage. Formé à Solesmes, il avait à son retour au pays donné un grand essor au chant grégorien.

À la rentrée de septembre 1947 sœur Georges-Antoine s’informe de mes vacances. Je lui raconte l’été merveilleux que je viens de vivre grâce aux fêtes du tricentenaire de la découverte du Lac Saint-Jean et de ma participation au spectacle qui m’a révélé l’art de la danse. Cette révélation l’amènera au cours de l’année à me demander de monter une chorégraphie lors de la fête de sainte Cécile.

Forte de sa confiance je me suis mise à l’œuvre et ai imaginé une danse sur la valse des fleurs de Tchaïkovski. Une dizaine de normaliennes, habillées de longues robes blanches et couronnées de fleurs, évoluaient sur scène en décrivant rondes et guirlandes. À la dernière note, d’une geste gracieux elles projetaient dans la salle une pluie de pétales de roses. Avec la prétention de mes seize ans, j’ose dire que c’était sublimement proustien!...

Vingt ans après ma sortie de l’École normale, je reçois un coup de fil d’un secrétaire de l’évêché de Chicoutimi. Il me demande si je suis bien cette Yvonne Tremblay qui a étudié chez les Sœurs de l’Assomption de Nicolet? À ma réponse affirmative il m’informe que quelqu'un aimerait me voir. C’est sœur Georges-Antoine venue visiter son vieux frère évêque mourant.

Je me rends la rencontrer avec bonheur. Au premier abord, j’ai mal à la reconnaître. Comme toutes les religieuses qui ont fait le virage vestimentaire, elle ne porte plus l’uniforme. Elle est vêtue d’un tailleur couleur marine. Ses cheveux, que je vois pour la première fois, auréolent de blancs son visage ridé.

Retrouvailles émouvantes de cette grande dame qui avec l’âge n’a rien perdu de sa superbe. Nous échangeons des souvenirs. Je lui dis ma reconnaissance pour l’ouverture aux arts dont je lui suis en grande partie redevable.

Je ne l’ai plus revue par la suite, mais c’est toujours avec une grande admiration que j’évoque son nom.

jeudi 7 mai 2009

Le tango

Claude vient d’avoir soixante-et-douze ans et moi soixante-et-sept. Nous assistons à un concert en plein air au kiosque Edwin Bélanger à deux pas de chez nous sur les Plaines d’Abraham.

Par cette chaude soirée c’est un quatuor de tango argentin qui est au programme. Dès la première pièce nous sommes conquis par la couleur sensuelle du bandonéon. À la deuxième, un couple de danseurs s’avance sur la scène. Ils sont beaux et élégants. Lui, cheveux gominés, tout de noir vêtu. Elle, talons aiguilles, robe rouge à la jupe fendue jusqu’à la taille. La danse qu’ils exécutent est un dialogue de mouvements audacieux, érotiques et sublimes. Tout le spectacle est pour nous pur enchantement. Nous rentrons à la maison en fredonnant des airs de Piazzolla et la tête pleine d’images vivifiantes.

Coïncidence, Le Soleil publie quelques jours plus tard un reportage sur les écoles de tango de Québec.

Que dirais-tu de suivre des cours de tango, Claude?

— Encore, faudrait-il savoir s’il y a une limite d’âge.


J’appelle une des écoles et on me répond:

C’est comme pour Tintin…de sept à soixante-dix-sept ans…

Nous voilà inscrits.

Un monde nouveau s’ouvre à nous. Nous y découvrons des gens charmants dont on ne sait ni le nom ni le statut social, mais qui partagent une passion commune : le tango. Ce n’est qu’au cours de conversations occasionnelles qu’on apprend que l’une est chirurgienne, l’autre vendeur, ingénieur, enseignante...

L’apprentissage du tango n’est pas facile car les danseurs doivent se mettre dans la peau de personnages, macho pour l’homme, séductrice pour la femme. Nous apprenons le maintien du corps, les pas, les figures, mais surtout les rôles dévolus à chaque partenaire. Celui de l’homme est exigeant : il dirige la danse selon la couleur et le rythme de la pièce musicale tout en laissant à sa partenaire des espaces à sa fantaisie. Pour y arriver il doit apprendre à communiquer son intention de façon non verbale. De son côté, le rôle de la femme est non moins difficile. Elle doit être docilement à l’écoute de ce que veut son partenaire tout en apportant à la chorégraphie les embellissements sensuels qui rendent le tango si séduisant.

Lors d’une session intensive, un professeur argentin, Herman, nous a traduit cette idée fondamentale par cette formule : En tango, l’homme voyage, la femme pas pense. Pas facile à accepter pour la féministe que je suis.

Sessions après sessions, nous suivons assidument des cours. Nous y prenons grand plaisir. Notre ambition n’étant pas de faire carrière nous décidons après quatre ans d’arrêter les cours. Nous sommes encore des néophytes. L’intérêt demeure cependant. La musique de tango est présente chez nous. Nous allons parfois danser dans des milongas. Et si un spectacle de tango est à l’affiche, les billets sont vite réservés.

Cette passion nous a menés en 2008 en Argentine, là où cette danse à commencé il y a plus de cent ans. Ce pèlerinage nous a montré que le tango demeure vivant à Buenos Aires. Les spectacles à grand déploiement abondent le soir dans les salles de même que les petites prestations spontanées à toutes heures du jour dans les rues.

Ce voyage a cristallisé à jamais notre amour du tango.

mercredi 6 mai 2009

Choc des mentalités

Quelques années après la mort de maman, mon père épousa Yvette, une veuve de notre voisinage, qu’il avait connue de façon très romantique en lui portant secours lors du bris de sa corde à linge.

C’était une personne gentille et attentionnée mais elle avait des idées bien arrêtées sur le rôle traditionnel des femmes, ce qui me mit souvent dans l’embarras.

À l’époque, nos quatre enfants allaient tous à l’école. J’avais repris mon travail d’enseignante. De plus je suivais des cours de spécialisation en art au cegep et à l’université.

De sa fenêtre Yvette voyait mes allés et venues et ne pouvait s’empêcher de faire ses remarques à mon père.

J’ai vu Yvonne à sa table de travail cette nuit. Il était bien une heure…Pauvre enfant ! Et ce matin, elle partait à huit heures pour l’école !

Papa qui passait me voir tous les jours constatait que tout allait rondement et que la famille s’accommodait bien de la situation. Il retournait rassuré jusqu’au prochain commentaire :

Elle ne doit pas avoir le temps de faire de la soupe tous les jours. Tiens, Raoul, va donc leur porter cette marmite pour le dîner.

Cela me mettait mal à l’aise, car papa oscillait entre les deux mentalités et scrutait les moindres traces de fatigue chez sa fille.

Un dimanche après-midi de décembre, nos voisins viennent nous rendre visite. Au moment de partir Yvette annonce qu’elle va cuire ses beignes du temps des fêtes.

Des beignes, s’écrit Yves, je ne me souviens plus quand j’en ai mangés.

J’ai beau lui faire de gros yeux désapprobateurs, Yves continue sur sa lancée en insistant sur sa situation de pauvre miséreux.

Quelle semonce il a eu droit après leur départ!

Lors du souper on frappe à la porte. C’est grand-papa qui remet à Yves un bol rempli de beignes encore chauds à partager.

Hein maman, ça valait la peine de me plaindre.


La conciliation travail-famille ne s’est pas faite sans heurt.

C’est un oiseau qui vient de France

C’est le titre d’une chanson qui a bercé mon enfance. Maintenant il évoque pour moi la genèse d’une grande amitié qui est née en deux temps.


1968

À deux jours d’avis la directrice du Centre culturel est prévenue que Les moineaux du Val de Marne, une chorale de quarante-cinq jeunes français, s’en vient à Jonquière. Il faut organiser un concert et les loger dans des familles. Avant Jonquière la chorale doit se produire à Chicoutimi.

La directrice en titre est prise au dépourvu. Elle doit partir en vacances avec toute sa famille. Elle m’appelle en catastrophe pour que je la dépanne. Devant son désarroi, j’accepte de la remplacer.

J’ai deux jours devant moi.

Pour le logement des choristes je mets à contribution les membres des Équipes de foyers de Saint-Raphaël, mouvement d’entraide efficace dont nous faisons partie. Le réseau se met en branle et en quelques heures les quarante-cinq moineaux trouvent un nid dans des familles d’accueil. Pour le concert je compte sur le bouche à oreille pour remplir la salle.

Le lendemain, changement subit au programme. Chicoutimi qui devait les recevoir se désiste. L’agent montréalais responsable de la tournée m’appelle pour que Jonquière sauve l’honneur de la région du Saguenay renommée pour son hospitalité. Je me remets à la tâche afin que les familles acceptent de loger nos jeunes deux nuits plutôt qu’une. Lorsque l’autocar des moineaux se présente au Centre culturel, les familles hôtes sont là pour les accueillir avec un large sourire.

Le lendemain la salle de concert du Centre culturel est remplie. Selon le directeur de la chorale, l’abbé Coutelle qui a logé chez nous, les chanteurs se sont surpassés ce soir-là. C’était la meilleure façon de nous exprimer leur reconnaissance.

J’ignorais à ce moment qu’un de ces moineaux deviendrait quelques années plus tard un grand ami.


1972

Invités au mariage de cousine Lisette à Chicoutimi, nous faisons connaissance de son époux, Michel, un parisien fort sympathique.

Dès les premiers contacts nous nous découvrons des atomes crochus et adoptons d’emblée ce nouveau cousin. L’espoir de mieux nous connaître est exprimé. Spontanément le jeune couple promet de venir chez nous le lendemain partager une bouteille de champagne de la noce.

Promesse tenue. Nous apprenons alors que nos tourtereaux se sont rencontrés grâce au programme d’échange franco-québécois pour la jeunesse. Lisette, participante à ces échanges, enseignait dans une école de la banlieue parisienne et c’est là qu’elle a connu Michel, étudiant en droit. La séduction opéra au point qu’il décida de prendre femme et pays.

Au fil de la conversation Michel nous apprend qu’il n’en est pas à son premier voyage au Québec. Il est même venu à Jonquière en 1968 alors qu’il faisait partie d’une chorale dont il était le trésorier.

J’ai gardé de Jonquière un souvenir particulier, car il y avait là au Centre culturel une jeune directrice qui nous a dépannés de façon admirable.

Claude et moi échangeons un sourire complice. Sans mot dire, il place sur la table tournante le disque des Moineaux du Val-de-Marne que nous nous étions procuré en 1968.

Michel surpris s’exclame:

Mais, c’est nous ?...

— Hé oui. C’est vous… Plus encore, la directrice par intérim du Centre culturel ce jour-là, c’était moi.

— Sans blague ?!...


Nous n’étions qu’au début d’une riche relation pleine de surprises.

vendredi 1 mai 2009

Le poulain

Un poulain nous est né. Ma sœur Marie et moi courrons à l’écurie.

Nous le trouvons allongé sur le côté dans le box. Mon père tente de l’amener boire au sein de sa mère. Il ne semble pas pouvoir se lever. Le nouveau-né est si faible que ses jambes ne peuvent le tenir debout.

Le vétérinaire consulté diagnostique un rachitisme sévère.

Vous pouvez tenter de le sauver en lui donnant un œuf battu dans du lait tous les jours. Un apport de protéine guérit souvent cette carence.

Me voici investie par le paternel de la responsabilité de la cure. Mandat que je prends à cœur. Tous les matins je prépare et fais boire la potion magique à mon petit poulain qui la happe de plus en plus goulûment.

Après quelques semaines il est si fort que c’est en courant qu’il vient à ma rencontre déguster son élixir quotidien. De petit qu’il était, le voici devenu haut sur pattes, fringant, vif et de fière allure. Le parfait profil du futur coursier dont nous avons besoin.

Il est sauvé! Je pars rassurée pour le pensionnat en septembre.

Quelques semaines plus tard, une lettre de ma mère m’apprend la mort de mon poulain. Sa hardiesse l’a amené imprudemment sur la route au moment où un camion y circulait à grande vitesse.

Vive fut ma peine, car cette fois il n’y avait pas de potion pour le ramener à la vie.

vendredi 10 avril 2009

L'équitation

Dans ma jeune cinquantaine, j’apprends qu’un centre équestre vient d’ouvrir à Laterrière et offre des cours sans discrimination d’âge. J’y entre au grand galop. Avec mes amis Suzie et Rodolphe je découvre les plaisirs de ce sport et ses difficultés.

L’aménagement bucolique de ce centre est l’œuvre des frères Jeannot et Alyre Tremblay, créateurs originaux et gens de goût. On y trouve des sentiers ombragés et une prairie verdoyante propices à la randonnée. L’écurie d’une propreté impeccable compte huit chevaux. Un manège spacieux est le lieu de notre apprentissage. Pour compléter le tout, on trouve dans le pavillon principal un restaurant gastronomique au nom poétique de Fauche le vent.

Le maître de manège, Claude Lagueux, m’impressionne par ses qualités de pédagogue et aussi par son élégance, laquelle rivalise avec celle du pur sang de sa monture. Il m’enseigne l’abc du sport équestre : comment approcher le cheval, comment le seller, le monter, le diriger.

Mon approche du cheval n’est pas nouvelle. Élevée à la campagne, il m’est arrivé plusieurs fois dans mon enfance d’enfourcher Tom, le plus docile des chevaux de la ferme. Très jeune, après les travaux des champs, je me voyais souvent confier par mon père la tâche de ramener Tom à l’écurie. Il me hissait sur le dos du cheval, je m’agrippais à son cou et je me laissais emporter joyeusement au rythme cadencé de ses pas.

Je retrouve à Laterrière ces sensations de mon enfance: la chaleur de l’animal, la douceur de sa robe, le rythme du galop, ce sentiment de liberté qui m’élève au dessus de ma taille.


L’art de l’équitation n’est pas que plaisir, il est une discipline exigeante. Il apprend à l’écuyer le maintien et l’équilibre. Il lui apprend à dominer ses peurs. Il lui apprend surtout à être à l’écoute de son cheval, à communiquer avec lui afin qu’il comprenne ses intentions. Il y arrive plus facilement lorsqu’il possède son propre cheval. Ce n’est hélas pas mon cas. Je dois d’une fois à l’autre monter un cheval différent. Malgré tout j’aime ce sport associé à une des plus belles, des plus gracieuses et des plus nobles créatures du monde.

Malheureusement, il m’est arrivé un incident qui m’a traumatisée irréversiblement. C’était lors d’une randonnée avec mes amis. Je chevauchais un cheval nerveux que je connaissais peu. Tout allait bien jusqu’au moment où longeant la route, un camion klaxonna de façon stridente. Du coup mon superbe alezan se cabra à la verticale. Que faire? Instantanément je me suis rappelée une phrase de mon père : C’est toi qui mène le cheval et non l’inverse. Je tirai de toutes mes forces sur les rênes et lui dis péremptoirement: calme toi! Il s’est remis sur ses pattes et m’emporta dans une chevauchée jusqu’à épuisement de ma peur.

Mon professeur qui fermait la caravane et qui n’avait rien perdu de la scène m’a félicitée en me disant que j’avais eu les bons réflexes. De mon côté avec cet incident traumatisant je venais de perdre ma candeur confiante. J’ai mis fin définitivement à l’équitation.

Plus tard j’ai donné ma bombe et mes bottes à ma petite-fille Fanny qui commençait à s’intéresser à ce sport passionnant.

lundi 16 février 2009

Le soleil

Telle une moniale, je me lève souvent à l’aube.

L’objet de ma contemplation est là, fidèle au rendez-vous.

Paré de ses plus beaux atours, il décline ses couleurs flamboyantes d’or, de corail et de rouge. Bonheur indicible.

Beauté éphémère. Naissance d’un jour lumineux.

Certains matins il se cache. En gage de promesse, il me laisse sa lumière tamisée.

Journal de bord

Nos jeunes enfants avaient l’habitude en voyage de dessiner leur journée. Ce journal de bord nous révélait leurs goûts. Une journée en Gaspésie illustre bien ce propos.

Nous sommes à Percé. Nous louons les services d’un pêcheur pour une excursion de pêche à la morue. Au large notre guide jette l’ancre. Il distribue à chacun les agrès et montre comment giguer. Le bord de sa barque porte les stries des nombreux gigueux qui nous y ont devancés.

Nos lignes s’emmêlent souvent dans les profondeurs. Patiemment notre guide sait rendre à chacun la sienne.

Yves est tout à sa pêche. Si ma mémoire est bonne, c’est lui qui aurait sorti la première morue. Marie ne semble pas apprécier ce sport. Elle délaisse vite sa ligne pour simplement contempler la mer. Jean, lui, observe les manœuvres tout en giguant. François découvre que la mer est salée.

Nous rentrons avec quelques prises que nous confions au cuisinier de notre hôtel. Le soir au souper nous avons le plaisir de déguster nos morues délicieusement apprêtées.

Il est révélateur de voir comment les enfants ont illustré leur journée ce soir-là :

Yves, 9 ans : une chaloupe remplie de morues énormes.

Marie, 7 ans : Le rocher Percé et de blanches mouettes dans le ciel.

Jean, 5 ans : une vue en coupe d’un entrelacs de lignes sous la chaloupe.

François, 4 ans : une surface bleue parsemée de petits points (le sel de la mer).

lundi 9 février 2009

Jennifer

Elle s’appelait Jennifer Nields. Une superbe adolescente New-yorkaise de douze ans venue vivre à Jonquière une immersion dans une famille québécoise. Elle était arrivée un été chez nous grâce à l’Institut des arts au Saguenay qui accueillait un groupe de jeunes américains recrutés par l’organisme Expérience de vie internationale.

Je me souviens de l’admiration qu’elle a suscitée chez nos enfants, Yves en particulier, par sa grâce toute naturelle. Jennifer était une jeune fille bien élevée, sensible et attentive. Elle adopta d’emblée les habitudes de la famille et participa volontiers aux tâches domestiques de la maison comme tous nos enfants.

Sa délicatesse naturelle lui fit répondre diplomatiquement à mon père qui lui demandait si elle était venue chez nous pour apprendre le français :

Je suis venue ici pour connaître la culture québécoise.

Pour lui rendre son séjour agréable, nous organisions des activités culturelles, sportives et touristiques tout en lui laissant des moments libres. Souvent alors Jennifer se retirait sur sa montagne, le mont Jacob situé à deux pas de la maison, pour y lire dans le silence de la nature.

Au mitan de son séjour nous arriva en surprise sa grande sœur. J’ai oublié son prénom mais je me rappelle son tempérament aussi flamboyant que sa longue chevelure rousse. Elle était étudiante en musique et elle nous arrivait avec la Cadillac de sa grand-mère du festival d’été de Tanglewood. Elle avait traversé les montagnes à cent à l’heure pour venir passer quelques heures avec sa petite sœur.

Le séjour de Jennifer s’est poursuivi avec bonheur pour elle et pour nos enfants. C’est avec tristesse que nous l’avons vue partir. Nous lui avons promis d’arrêter la voir chez elle au retour de Floride au temps des fêtes.

Nous savions peu de chose sur la famille de Jennifer, sauf que son père enseignait à l’université et qu’elle avait une sœur excentrique à la Isadora Duncan. Nous en connaitrons d’avantage quelques mois plus tard.


À New York

Après notre séjour en Floride nous faisons escale à New York. Tel que promis, de l’hôtel où nous venons de nous installer, nous appelons chez les Nields. Sa mère nous informe dans un français impeccable que Jennifer est dans un centre de ski alpin mais qu’elle l’avise immédiatement de notre arrivée et qu’elle sera là demain. Elle nous convie chaleureusement à venir dîner au 10 Gracie Square vers dix-huit heures. (Nous apprendrons par la suite que les parents ont fait revenir leur fille en avion privé.)

Gracie Square est une enclave de paix dans ce bruyant New York. La résidence des Nields nous en met plein la vue. Un valet en livrée ouvre la portière, signale notre arrivée à nos hôtes et s’occupe de garer la voiture. Le hall d’entrée impressionne : boiseries somptueuses, lustre de cristal, escalier en hémicycle. Jennifer en descend rapidement suivie de sa mère et de son père. Nos enfants émus retiennent leur envie de sauter au cou de leur copine de l’été dernier.

Dès le hall Madame nous souhaite la bienvenue. Elle nous dit regretter l’absence de la grande sœur en voyage à l’étranger. Elle donne à chacun des cadeaux d’accueil. Heureusement, nous avions prévu leur offrir des souvenirs artisanaux du Québec. La glace est cassée. Jennifer amène ses petits amis visiter le somptueux appartement.

Tandis que les enfants bavardent dans la chambre de Jennifer, les adultes trinquent au salon. Nous apprenons que madame Nields aime la littérature française et que monsieur Nields joue du cor français. La salle de musique insonorisée où il se retire souvent lui permet de pratiquer de son instrument à son aise et jouir de sa riche discothèque.

Tout en étant chaleureuse, madame dégage une certaine aristocratie héritée de la grande famille européenne dont elle est issue. Monsieur, tout intellect qu’il soit, a un sens de l’humour remarquable qui détend l’atmosphère très sophistiquée du repas qui se prend dans la grande salle à manger. Sur la table on a mis les petits plats dans les grands plats : dentelles d’Alençon, argenterie Christofle, verrerie Lalique, porcelaine de Limoge… Monsieur Nields sert lui-même le rosbif avec moult commentaires amusants à chacun des enfants et son célèbre « encore beaucoup? ».

Au fil de la conversation nos hôtes nous livrent leurs préoccupations sur la guerre au Vietnam où leurs soldats s’enlisent. Ils n’approuvent pas la politique de leur pays à ce sujet et veulent savoir ce que nous, qui ne sommes pas américains, en pensons. Madame nous parle des auteurs français qu’elle a lus et Monsieur de ses compositeurs préférés.

Lorsque vient le moment de nous retirer, Madame demande si nous acceptons de laisser les enfants dormir chez eux.

Nous avons tout prévu, dit-elle, pyjamas et brosses à dents pour les quatre.

Nous acceptons pour le plus grand plaisir des enfants et sollicitons en retour que Jennifer nous accompagne le lendemain pour la visite de New York. Entente conclue. Claude et moi regagnons seuls notre hôtel et… nos trois chambres.

Comme c’était beau le lendemain de voir nos enfants descendre le grand escalier à rampe des Nields et de les entendre avec élégance nous souhaiter le bonjour! En peu de temps ils avaient pris les airs de la maison.


Retrouvailles

Quelques années passent. Un coup de fil de Jennifer nous annonce qu’elle est en vacances en Charlevoix chez des amis, les Cabot du domaine Aux quatre vents et qu’elle aimerait nous visiter avec une fille Cabot de son âge.

Nous cuisinons rapidement les bons mets qu’elle affectionnait le plus lors de son séjour à la maison.

Quelle joie de revoir notre Jennifer toujours aussi belle. Elle s’amène avec un grand bol de framboises fraîchement cueillies pour nous dans les jardins des Cabot.

Elle retrouve nos enfants devenus grands. Elle fait le tour de la maison, retrouve ce qu’elle n’a pas oublié, s’émeut dans la cour arrière du petit coin intime près de la pergola et des bouleaux qui ont grandi. Puis, revenue en avant, balaie du regard le paysage :

Est-ce bien ma montagne? Comme elle est devenue petite…!

— Ne serait-ce pas toi, chère Jennifer, qui a grandi?

~~~

Tu espérais alors poursuivre tes études musicales en Europe. J’ose croire que tu y es arrivée.

vendredi 23 janvier 2009

Zhang Jie-Min

C’était à Hangzhou en Chine en 1987. Un vrai coup de foudre.

La veille, dans une galerie d’art à Shanghai, je fus fascinée par la force expressive de ses tableaux. Un seul sujet : des chevaux. Claude et moi n’avions jamais vu représentation aussi vivante du cheval.

Le lendemain, Hangzhou. Arrêt au musée de la ville. Un artiste donne une démonstration de son art devant un groupe de touristes. Je m’approche. Je reconnais tout de suite le style. Je suis fébrile.

C’est lui! C’est l’artiste des chevaux vus hier à Shanghai !

Le groupe précédent se retire et me voilà avec le nôtre en face de Zhang Jie-Min. À ma demande, Monsieur Li, notre guide-accompagnateur, lui traduit mon admiration pour les œuvres vues la veille.

L’artiste me regarde longuement. Je sens qu’il est flatté et tout aussi ému que moi. Lentement, il enlève la feuille de papier de riz sur laquelle il travaille, prend une nouvelle feuille, la dépose sur sa table de travail. Il me regarde de nouveau et de son pinceau marque un point à l’encre noire au centre de la feuille blanche. Puis dans une gestuelle frénétique entre l’encrier et la feuille naît en un rien de temps un cheval galopant toute crinière au vent. Je suis stupéfiée!

Nouveau regard. Par notre guide-interprète, il me demande mon nom.

Yvonne

— Yvona…


Avec son pinceau, il écrit à la verticale des caractères chinois à droite du dessin. Le guide me dit qu’il s’agit d’une dédicace qu’il me traduit : « À Yvonne, en reconnaissance pour l’insigne honneur qu’elle me fait d’apprécier mon travail. »

Que dois-je faire de mon côté devant un geste si généreux? Lui offrir paiement? Monsieur Li m’explique :

C’est un cadeau et vous devez l’accepter.

Spontanément, je lui offre la fleur de lys que je porte à la boutonnière.

Toujours par l’intermédiaire du guide, le peintre m’informe qu’il ne peut me remettre le dessin maintenant. L’œuvre sur papier de riz doit être séchée et marouflée. Cela ne devrait prendre que quelques heures. Le lendemain matin à six heures, juste au moment où nous nous préparons à monter dans le car pour quitter Hangzhou, Jie-Min arrive en vélo et me remet, avec moult courbettes, un rouleau contenant le précieux cadeau. Incroyable!

Nous continuons notre périple à travers la Chine. De retour à la maison je trouve dans le rouleau, outre le prestigieux dessin, son curriculum vitae écrit en caractères occidentaux et son adresse écrite en caractères chinois. C’est ma chance. Je photocopie son adresse et la colle sur l’enveloppe d’une lettre de remerciement en français que je lui envoie en espérant qu’il trouvera chez lui un traducteur. À mon tour je lui fais parvenir une de mes œuvres sur papier.

Au fil de la correspondance assidue qui s’en suivit entre nous, j’apprendrai que Zhang Jie-Min jouit d’une grande réputation, non seulement en Chine, mais aussi au Japon et même aux États-Unis. Pour ajouter à sa légende, sa facilité de représenter les chevaux avec tant d’acuité lui viendrait du fait qu’il fut entraîneur de chevaux dans l’armée de Mao.

Quelques années après cette rencontre, mon ami Rodolphe va en Chine. Comme Hangzhou est sur son itinéraire, je luis donne les coordonnées de mon ami et lui demande de le saluer de ma part.

À son retour, Rodolphe m’apprend qu’il a rencontré Jie-Min à deux reprises. La rencontre fut très chaleureuse. Un lien de confiance s’est établit entre eux au point qu’il confia à Rodolphe une dizaine d’encres à vendre au Canada dans l’espérance que les revenus lui permettent de venir dans notre pays. Les œuvres sont de grands formats et sont aussi expressives que celles contemplées à Shanghai. Les chevaux de Jie-Min sont en mouvement. Certains sont aériens et volent littéralement. Je suis toujours fascinée par la magie qui s’en dégage.

Rodolphe et moi tentons de répondre au vœu de notre ami. Nous organisons deux expositions dans la région du Saguenay, l’une dans un centre équestre et l’autre au Centre national d’exposition de Jonquière. Bon succès médiatique, nombreux visiteurs, mais hélas aucun acheteur. À l’évidence, les collectionneurs d’ici ne sont pas portés à investir de grosses sommes pour des œuvres sur papier d’un artiste inconnu.

Confrontée à cet échec, j’écris à l’artiste pour le mettre au courant de nos démarches et lui demande s’il accepterait que je tente auprès de l’Ambassade de Chine à Ottawa de lui obtenir une subvention pour venir lui-même exposer dans notre pays. Pour un motif qui m’est toujours resté mystérieux sa réponse fut :

Surtout ne faites pas cela.

Une zone de mystère s’ajoute encore lorsqu’il nous demanda de ne pas lui retourner les tableaux par la poste. Pour nous remercier de nos efforts, il offre à Rodolphe et à moi de choisir chacun un tableau parmi la collection et de faire don des œuvres restantes à un musée de notre choix. C’est au Centre national d’exposition de Jonquière que nous ferons ce legs généreux. Le Centre national en fit un évènement médiatique et lui fit parvenir, avec ses remerciements, un dossier bien étoffé avec photos prises lors de la remise des œuvres et les articles élogieux des journaux.

Peu de temps après, Jie-Min m’informe que son scribe traducteur quitte Hangzhou. Notre correspondance prend du coup du plomb dans l’aile. De mon côté, un épisode de maladie vient accaparer toutes mes énergies. J’ai ainsi perdu la trace de mon ami.


Heureusement, il demeure présent chez nous par cette encre magnifique bien en vue, son dernier cadeau. On y voit trois chevaux fougueux qui survolent la Grande muraille de Chine dans un mouvement de libération.


« L’art est libérateur. » ( Zao Wou-Ki)

samedi 17 janvier 2009

Agression

C’était en 1988. Je me souviens de l’année, car la veille, j’avais appris la naissance d’Ariane, ma première petite-fille.

C’était la fin d’un séjour en Floride avec mon amie Céline.

Un dernier rayon de soleil au bord de la piscine avant de boucler les valises. Je laisse Céline monter seule à la chambre.

Je te rejoins dans un instant. Le temps de régler mon compte de téléphone.

Le jeune directeur de l’hôtel, qui a toujours été empressé envers nous, m’invite à revenir en vacances avec ma famille.

Le troisième étage a été rénové en appartements et sera disponible bientôt. Venez avec moi, j’y vais justement, vous verrez comme c’est invitant.

Sans appréhension, je le suis. Il ouvre la porte d’une suite, il me regarde d’un œil trouble, ferme la porte à double tour et met la clé dans sa poche. Piégée, je crains le pire. Je tente de m’imposer :

Ouvrez, s’il vous plait.

— Non, ma belle, il y a longtemps que j’attends ce moment.


Violemment, il me jette sur le lit. Comment m’en sortir?

Lâchez-moi, monsieur, je suis grand-mère!

Manifestement cela ne le dérange pas. Il essaie de me dévêtir. Une inspiration soudaine me fait trouver l’argument décisif :

Si vous n’ouvrez pas la porte immédiatement, je vous fais perdre votre JOB !

— O.K. !


Toute bouleversée et en pleurs, je cours à la chambre et raconte l’incident à ma copine.

Pour mieux comprendre, sans doute, Céline me demande si je ne l’aurais pas provoqué. Là, c’en est trop, et je pleure de plus belle… Désolée, elle me prend dans ses bras et manifeste la compassion dont j’ai le plus besoin.


De retour à la maison, je trouve dans ma valise un mot d’excuse de cette amie de longue date qui me dit son regret d’avoir douté un instant de mon honnêteté dans cette inimaginable histoire d’agression.

jeudi 15 janvier 2009

La vie est belle

Quelques mois après une sérieuse opération à la clinique Mayo de Rochester, je suis convoquée pour des examens de contrôle. On me dira alors si l’intervention chirurgicale a été un succès.

Claude, retenu par ses obligations professionnelles ne peut m’accompagner. Je pars donc seule : sauts en avion du Saguenay à Montréal, Montréal—Chicago et enfin Chicago—Rochester. Je couche à notre hôtel habituel avec l’espoir qu’on me rassurera sur l’état de ma santé.

Le lendemain, jour de vérité.

Des techniciens me radiographient de la tête aux pieds. Ils sont souriants, mais muets comme des carpes. Quelle en est la lecture? Mon inquiétude augmente.

Le médecin radiologiste vous recevra dans deux heures et vous donnera le résultat.

Jamais deux heures ne me paraissent aussi longues. Je me réfugie dans un fauteuil d’une des salles d’attente et essaie de brûler le temps par la lecture. Je suis incapable de me concentrer. Je ferme le livre. Je me laisse aller à la contemplation du lieu : murs de pierres et de bois rares, cascades d’eau, sculptures de bronze, rosasses de plantes vertes… Tant de beautés sont là pour moi. Je me lève et trouve réconfort auprès d’une plante verte, lui confie en silence mon angoisse. Elle est si jolie, si rayonnante de santé que soudain je retrouve espoir en la vie.

Onze heures. Il est temps de rencontrer le médecin. Sur un écran lumineux de son bureau sont disposées mes radiographies.

Madame voyez les radiographies. Celles d’avant et celles d’aujourd’hui. Il n’y a plus de traces du cancer sur ces dernières.


Spontanément je lui saute au cou!

Merci docteur! Vous êtes la première personne avec qui je peux partager ma joie. Pardonnez mon exubérance.


Pour célébrer la bonne nouvelle, je rapporte des cadeaux pour mes enfants et petits-enfants en leur disant : La vie est belle!

mercredi 14 janvier 2009

Mot savoureux

On sonne à la porte par un beau dimanche à huit heures du matin. À ma grande surprise, tante Isabelle et oncle Gérard sont devant moi.

Excusez-moi de venir vous déranger de si bonne heure, mais j’aurais besoin de parler à Claude.

Mon jeune époux s’amène craignant que les visiteurs lui apportent une mauvaise nouvelle.

Non, non, c’est à cause d’un papier de conséquence que j’ai reçu hier. J’y comprends rien. Je n’en ai pas dormi de la nuit. J’ai pensé que toi, avocat, tu serais capable de me l’expliquer.

Claude répondit de bonne grâce aux vœux de sa tante qui repartit satisfaite.


Depuis, chaque fois que je reçois un document compliqué, je pense au papier de conséquence, mot si savoureux de tante Isabelle.

mardi 13 janvier 2009

Croisière

Quoi de mieux pour se reposer de l’hiver interminable qu’une croisière dans les Caraïbes? C’est une première pour nous deux. Un saut de puce en Floride et nous embarquons sur le MS Noordam pour dix jours.

Presque tous les voyageurs sont en groupe et sont américains. Une crainte nous tatillonne: allons-nous trouver le temps long, nous qui sommes seuls parmi ces inconnus qui sont manifestement plus âgés que nous?

Nous nous acclimatons rapidement en prenant intérêt et plaisir à observer cette faune humaine qui nous entoure.

C’est une faune visible. Le soir: habit noir, nœud papillon, chemise blanche, ceinturon rouge sur ventre dodu pour les hommes; robe à paillettes, bijoux rutilants, talons aiguilles pour les vieilles dames. Le jour: exposition de varices, vergetures, cellulite, obésité autour de la piscine.

C’est aussi une faune très audible: on parle à haute voix, on rit fort, on s’interpelle bruyamment.


Relation étrange

Le premier soir je remarque sur la piste de danse deux dames d’un âge avancé. L’une et l’autre ont comme partenaire un jeune garçon. Claude, généreux, présume:

Ce sont deux grands-mères qui gratifient leurs petits-fils de belles vacances…

— Détrompes-toi, une grand-mère ne danse pas collée de cette façon avec son petit-fils!


La fin de la soirée me donne raison. Après avoir vraisemblablement bordé leurs mémés, nous retrouvons les deux gigolos au bar tendrement attentionnés l’un envers l’autre.


Sugar daddy

Un autre fait attire notre attention lors d’une escale à Saint-Thomas.

Dans un chic magasin de vêtements griffés où nous sommes entrés par curiosité, nous remarquons bien callé dans un fauteuil, cigare au bec et flute de champagne à la main, un monsieur corpulent.

Je le reconnais, il fait partie de notre croisière.

Nous observons discrètement la scène. Une jolie et séduisante jeune fille vient virevolter devant lui dans une robe splendide.

Gorgeous…!

Elle revient de nouveau avec une nouvelle toilette. Même manège de sa part et même réaction admirative de la part du monsieur.

Près du fauteuil, plusieurs cartons s’empilent et sans doute monte aussi la facture.

C’est la première fois que je voyais de mes yeux un sugar daddy ailleurs qu’au cinéma.


À notre tour

Dans l’anecdote suivante, c’est nous qui sommes les acteurs.

Une amie de Chicoutimi qui collectionne des vêtements typiques dans ses nombreux voyages nous avait offert de choisir quelques fringues pour la soirée costumée traditionnelle à bord de ces grands paquebots. Claude emprunte une djellaba marocaine et moi, un soyeux sari indien.

Au soir dit, une centaine de passagers costumés défilent devant un jury. Après délibération, l’animateur s’amène au micro et proclame les gagnants.

The first price is: The Sheik and his Wife.

Pauvre en anglais je crois avoir entendu : the chicken and his wife.

Claude, qui sont ces gens déguisés en poulet et en poule?

— C’est nous, les gagnants, Yvonne. Le cheik et sa femme…!


En prix on nous remet une bouteille de champagne et un panier rempli de souvenirs du MS Noordam.


Non, notre première croisière ne nous a pas paru longue. Elle nous a beaucoup appris sur les Caraïbes et beaucoup sur les multiples facettes de la nature humaine.

samedi 10 janvier 2009

Monsieur Lessard

M. Lessard était une personnalité dominante à Chicoutimi dans le domaine des affaires au milieu du siècle dernier. On l’appelait familièrement Monsieur J. A. (Joseph-Arthur) pour le distinguer de son frère Héraclius qui lui aussi tenait un commerce. Je n’ai pas connu ce dernier, mais par contre je peux me vanter d’avoir eu le privilège de connaître de près le premier.


Royaume de l'élégance

C’était autour de 1950. J’enseignais dans une école primaire de Chicoutimi. La surpopulation étudiante et l’absence de locaux avaient obligé la commission scolaire à diviser les élèves en deux groupes successifs par jour. J’enseignais à un groupe du matin. Il me restait donc beaucoup de temps libre.

Un après-midi, j’ose entrer au Royaume de l’élégance, le magasin le plus chic du Saguenay. Voir ne coûte rien… Pourquoi pas? Et si par hasard, je trouvais une jolie robe pour Noël? J’observe, admire, musardant d’une rangée à une autre lorsque je découvre une splendide robe de velours noire légèrement décolletée, à manches courtes bouffantes en dentelle blanche.

M. Lessard qui voit tout… m’offre de l’essayer. Elle me va à merveille. Un tour de valse devant le miroir… J’imagine le regard admiratif de Claude. J’achète… ou plus exactement, je fais mettre de côté, le temps de ramasser le montant de la merveilleuse robe.

En entendant mon nom, M. Lessard m’apprend que je porte le même nom que celui de sa femme et, plus encore, que le père de madame Lessard est cousin de mon grand-père Onésime. Nous voici presque en lien de parenté.

Votre oncle Monseigneur Victor vient souvent nous visiter…

Apprenant que l’enseignement me laisse mes après-midis libres, il me propose de travailler comme vendeuse dans le département des robes, manteaux et fourrures.

Je n’ai pas d’expérience.

Vous avez le sourire… C’est primordial.


Au travail

D’emblée j’ai aimé ce travail d’appoint. Il ne ressemblait en rien à celui de l’éducation. J’y trouvais un monde de beauté et d’élégance où l’approche psychologique de la vendeuse doit savoir orienter les clientes vers le bon choix et surtout leur donner satisfaction. Défi quotidien, toujours renouvelé. L’atmosphère du lieu ressemblait à un grand salon feutré. Des fauteuils disposés ici et là permettaient aux clientes de faire la pause au besoin. C’est là que souvent M. Lessard rassemblait les vendeuses pour donner ses directives. Un vrai PDG.

Je me sentais privilégiée. Il me réservait souvent des tâches particulières. Un jour entre autres il me confia une publicité téléphonique pour une vente de manteaux de fourrure. C’était une innovation pour l’époque. Pour le faire sans accaparer la ligne téléphonique du magasin, c’est chez lui, dans sa luxueuse résidence, qu’il m’amena. Il m’installa dans sa chambre, près du téléphone de la table de chevet.

Prenez vos aises et appuyez-vous sur mes oreillers.

Aidée du bottin, j’invitais durant toute la journée les dames de Chicoutimi, avec le plus de persuasion possible, à venir voir les aubaines offertes au magasin. Une pause au diner dans la grande salle à manger avec Mme et M. Lessard. Quel honneur!

Le lendemain matin, je reprenais mon travail habituel. Mon patron me salua avec un sourire coquin.

Votre parfum a flotté dans l’air de ma chambre toute la nuit…

Un peu mal à l’aise, j’ai sagement déduit qu’un homme, tout patron qu’il soit, avait le droit de rêver.

Autre marque de considération, il me demandait souvent de modeler un manteau de fourrure devant une cliente.

Quand elle vous voit le si bien porter, disait-il, cela est vendeur.

J’ai même eu le plaisir de participer à un défilé de mode au Capitole. C’est à moi qu’il réserva l’honneur de porter la robe de la mariée. À mon tour de rêver, moi qui projetais de convoler en juste noce bientôt.



L'homme

J’ai toujours senti que M. Lessard, tout homme charmant et charmeur qu’il était, manifestait son attachement envers moi avec beaucoup de respect. Avec le recul, je pense que le fait de porter le même nom que sa femme et de me savoir en amour avec mon bel étudiant le rendait romantique.

Pour preuve, il m’accorda facilement congé pour aller au bal de la faculté de Droit de Laval, même si le magasin avait besoin de tout son personnel pour la vente de fin de saison. Il partageait à sa façon ma joie, allant même jusqu’à me prêter une étole de vison pour compléter ma toilette.

Autre délicatesse de sa part. De retour d’un salon de la mode à Paris, mon cher patron me remit discrètement une broche en argent.

Cette petite ballerine m’a fait penser à vous qui suivez des cours de ballet.

J’aurais sûrement d’autres anecdotes à évoquer qui témoigneraient de ses attentions, mais je terminerai par cette dernière qui n’est pas la moindre.

Quelques jours avant notre mariage, j’ai reçu en cadeau un ensemble de draps brodés en fine percale. Sur la carte de vœux, ces mots signés J.A. Lessard :

Que votre ménage soit toujours dans de beaux draps et s’il vous arrive de rêver, j’espère y avoir une petite place.

mercredi 7 janvier 2009

Une Studebaker aventurière

À peine une heure de cours de conduite automobile et voilà que Madeleine prend le volant de notre Studebaker pour l’amener au Saguenay. Cette voiture d’occasion brille comme une neuve. Style coupé à ligne fuselée, de couleur jade, un vrai petit bijou digne de la fabuleuse aventure dans laquelle nous plongeons. Aventure à la fois missionnaire, culturelle et lucrative.

Mandatées par notre oncle, le Père Laurent Tremblay o.m.i., nous avons mission de parcourir le Québec, les Maritimes et la Nouvelle-Angleterre pour diffuser sa dernière œuvre : Ma Croisade, un livre d’aspect attrayant, illustré par Odette Vincent Fumet, dédié à la Vierge Marie sous différents vocables : Notre Dame des épreuves, Notre Dame du travail, Notre Dame de la maison…

Je vous confie la vente de l’édition complète des 20 000 volumes, nous dit notre révérend oncle.

Beau contrat.

Nous sommes en 1952, une époque où la dévotion mariale, intensifiée par le chapelet en famille récité tous les soirs par le cardinal Léger à la radio de Radio-Canada, bat son plein. Il faut rappeler également qu’ìl est de coutume d’offrir aux élèves des livres en prix de fin d’année.

Le terrain est propice, nos vingt ans pleins d’enthousiasme, Madeleine et moi avons décidé de plonger dans l’aventure.


Le coffre de la Studebaker rempli de livres, nous ratissons au départ notre région en sollicitant les communautés religieuses d’enseignement et les commissions scolaires. La réponse est tout de suite positive. Nous livrons à la caisse et prenons aussi des commandes pour expédition ultérieure.

Madeleine a un don inné de vendeuse. Elle trouve toujours le mot persuasif. Quant à moi, l’expérience acquise au Royaume de l’élégance me sert bien. Le charme des jeunes démarcheuses joue souvent… surtout dans les institutions masculines. Dieu nous pardonne. C’est pour une bonne cause.

Fortes du succès obtenu au Saguenay, nous poursuivons la sollicitation dans d’autres régions toujours bien servies par notre voiture que j’ai appris à conduire. Mais en général c’est Madeleine, ma sœur aînée et leader de tempérament, qui la conduit. Le rôle de pilote me convient mieux. C’est également moi qui sur la route va aux renseignements.

Je me souviens qu’un jour nous cherchions un collège de la communauté des Pères du Saint-Esprit. Je m’informe à un vieux monsieur sur le bord de la route où se trouve ce collège.

Les péres du Saint-Esprit…? Ceuses-là qui ont un maniére de volaille su l’estomac?...

Il m’a, à sa manière, décrit la particularité de la soutane de ces révérends pères qui, en effet, arborent une colombe brodée sur la poitrine.

L’accueil en général est chaleureux. Surtout chez les religieuses qui nous invitent parfois à rester dîner au couvent. On sent une sorte de compassion à leurs yeux de moniales pour les petites filles aventureuses que nous sommes. Elles nous donnent souvent des filons, nous recommandent d’aller visiter d’autres couvents éventuellement intéressées à se procurer Ma Croisade.

Dans la région du Saguenay notre port d’attache est chez nos parents. Dans les Bois francs c’est chez notre sœur Claire à Victoriaville. À Montréal c’est à la maison d’édition des Oblats que nous trouvons une famille. En régions éloignées nous logeons ordinairement à l’hôtel quoique souvent une amie connait une amie… qui nous offre généreusement le gite et le couvert. Ces contacts privilégiés enrichissent nos connaissances et demeurent souvent des liens durables.

Lorsque nous logeons à l’hôtel, nous apprenons vite qu’en tant que jeunes femmes nous devons être prudentes. Un soir, à Mont-Laurier, deux voyageurs à la salle à manger nous font de l’œil. Indifférence de notre part. Après le repas, invitées toutes les deux par le supérieur du Séminaire que nous avions visité dans la journée, nous retournons à cette institution pour entendre Gilles Lefebvre (le fondateur des Jeunesses musicales du Canada) qui y donne un récital de violon. À notre retour à l’hôtel, nos deux lascars du souper sont dans le hall. Nous montons rapidement à notre chambre. Le temps de tourner la clé, on frappe à la porte :

Ouvrez la porte…on vous veut pas le mal, juste de l’affection…

Malheur! Pas de téléphone à la chambre pour appeler la direction. Nous restons muettes jusqu’à ce qu’on les entende enfin rebrousser chemin. La porte reste close jusqu’au lendemain matin, même si la toilette se trouve au bout du corridor. Dieu merci, dans la chambre il y a un lavabo… !

Notre passionnante découverte du pays et de sa diversité géographique et humaine se poursuit depuis près d’un an lorsque notre Studebaker manifeste des signes de fatigue. Il est vrai que nous lui avons beaucoup demandé: rouler des milliers de kilomètres par monts et par vaux, beau temps mauvais temps, porter sans répit de lourdes caisses de livres plein le coffre… et de sa vie antérieure on ne sait rien. Bref, nous devons à regret lui dire adieu.

Tout compte fait, nous réalisons que nous avons les moyens financiers de la remplacer. Une autre Studebaker toute neuve lui succède. Spacieuse, couleur bourgogne, rutilante comme un bon vin, cette nouvelle alliée demeure solidaire jusqu’à la fin de notre contrat avec notre oncle.


C’est à ce moment que je signe un autre contrat: mon contrat de mariage.

Ma sœur acquière ma part de la voiture tout en offrant généreusement à Claude et à moi de l’utiliser pour notre voyage de noce.

C’est le début en Studebaker d’une autre aventure qui dure depuis plus de cinquante ans.

dimanche 30 novembre 2008

Tremblement de terre

Le 25 novembre 1988, à 18h46, l’est du Canada enregistrait son plus important séisme en 60 ans, un tremblement de terre de magnitude 5,9 sur l’échelle Richter allait semer l’émoi chez plusieurs résidents du Québec. Son épicentre était situé à 50 kilomètres au sud de Chicoutimi, mais fut ressenti à plus 2000 kilomètres jusqu’à Montréal et Washington.

Voilà ce que rapporte le journal Le Soleil d’aujourd’hui, vingt ans plus tard jour pour jour.

Souvenir

Je me souviens de cet événement comme s’il était arrivé hier. Des détails sont inscrits dans ma mémoire auditive, visuelle et émotive tant le choc fut grand pour Claude et moi.

La veille une secousse brève nous avait réveillés au cœur de la nuit. Premier signe avant-coureur. La pleine magnitude du séisme est survenue quinze heures plus tard.

Je suis à peindre dans mon atelier au sous-sol de notre maison à Jonquière lorsque j’entends un grondement sourd. Surréaliste, cela ressemble aux roulements des tanks soviétiques entrant à Prague dans le film l’insoutenable légèreté de l’être que je viens de voir au cinéma.

Les secousses augmentent sous mes pieds. La lumière s’éteint. Claude me crie de monter. Alors qu’à quatre pattes j’escalade l’escalier, j’entends le tintamarre de la vaisselle qui tombe des armoires. Nous nous retrouvons rapidement dehors dans le jardin. Nous sommes là enlacés. Je crains que la terre s’ouvre devant nous pour nous engloutir comme dans une scène apocalyptique.

Fin des secousses. Atmosphère étrange. Odeur de souffre.


Dans la rue

Machinalement nous allons dans la rue obscure en silence. Une femme affolée court et crie : Fernand, Fernand! Où es-tu Fernand? Nous apprenons que le Fernand dès les premières secousses est sorti de la maison, a sauté dans son auto et a déguerpi.

Un voisin dit : Chez moi, la cheminée s’est effondrée avec fracas par l’intérieur et ma femme est sous le choc. Un autre arrive en camionnette et demande tout bonnement depuis quand l’électricité est en panne. En roulant il n’a rien senti.

Des voix inaudibles nous parviennent de-ci de-là. Progressivement les gens rentrent chez eux. Nous faisons de même.

Le premier regard de Claude est pour la bibliothèque. Il y était assis au début du tremblement de terre. Il se souvient avoir entendu tomber des livres. Une grande étagère à la dimension d’un mûr est déplacée de sa base et tient en équilibre précaire. Il l’a échappé belle!

Le téléphone est coupé. L’électricité aussi. La radio donne constamment des nouvelles du séisme saguenéen. Nous pensons à nos enfants de Montréal qui doivent s’inquiéter.


François

En fin de soirée les communications reviennent. François est le premier à nous joindre. Il s’enquière de la situation de ses parents.

— Nous allons bien et il nous semble que nous n’ayons que des bris à la bibliothèque.

— J’arrive !


Cinq heures plus tard François était à la maison avec… son coffre à outils. Ce geste d’amour filial nous a si touchés que c’est encore avec émotion que je l’évoque.


Épilogue

Tout compte fait, nous sommes sortis chanceux de cette aventure. D’autres au Saguenay ont subi des dommages matériels considérables et certains des séquelles psychologiques qui ont pris du temps à se résorber. Celle qui cherchait son Fernand tomba dans une psychose dont elle ne s’est jamais remise.

lundi 24 novembre 2008

Mon père, conteur

Mon père était un conteur. Il nous racontait l’Histoire à sa façon par des récits pittoresques où la chronologie n’existait pas. L’Antiquité chevauchait le Moyen-âge, l’Ancien et Nouveau Testament se confondaient avec l’actualité. Avec lui, l’Histoire se déroulait au présent et il était toujours présent dans l’histoire.

Ma mère par souci de rectitude remettait subtilement les choses en ordre à la fin du récit.


Compagnon des héros

Papa nous servait ses héros favoris dans des versions différentes toutes aussi passionnantes. La diversité de son auditoire stimulait son imagination.

Ses récits commençaient toujours par : Quand j’étais avec… ou… Un jour alors que nous étions… et moi…

Le comble de ses fantaisies l’amenait à mettre en scène Gengis Khan, Buffalo Bill et Josué dans le même récit. Mais ordinairement il nous racontait les faits héroïques d’un seul héros à la fois. Alors cela devenait une grande fresque abondante de détails savoureux.

Avec Gengis Khan, chef des Mongols, il nous a amenés en Russie, en Chine, en Perse, à la conquête de l’Asie. Nous avions droit à la longue chevauchée des troupes, à la couleur des chevaux, à la fatigue des hommes, à une description des habits des vaincus et des vainqueurs.

Buffalo Bill fut à mon avis son super héros. Pensez donc, tuer 69 bisons en une journée! Papa nous a raconté que cet homme avait dirigé le spectacle le plus populaire du monde qu’il a présenté dans toute l’Amérique du nord y compris au Canada et à Paris en 1905 au pied de la tour Eiffel devant trois millions de spectateurs. Il avait recréé en spectacle l’atmosphère de l’Ouest américain, la chasse au bison et l’attaque d’une diligence. Mon père était de tous les numéros.

Quant à Josué, nous avons entendu le son des trompettes antiques utilisées par les Hébreux contre les murailles de Jéricho lors de la conquête de Canaan.

Josué m’a envoyé dire à ses hommes de faire sonner les trompettes pendant sept jours en faisant sept fois le tour de la ville. À la fin, les murailles de Jéricho se sont effondrées et on a pu prendre la ville.

Notre père savait saisir le moment opportun.


L'histoire sans fin

Un soir d’été à la brunante nous prenons l’air sur la galerie. Simon, mon cousin de douze ans, est en promenade chez-nous. Papa commence à voix basse cette histoire sans fin et en augmente progressivement le crescendo:

Dans les sombres forêts des Apennins existe une caverne de brigands. Le chef dit à l’un d’eux : Nicodème, raconte-nous une de ces histoires qui font trembler les montagnes et frémir les passants. Nicodème commença ainsi :

Dans les sombres forêts des Apennins existe une caverne de brigands. Le chef dit à l’un d’eux : Nicodème, raconte-nous une de ces histoires qui font trembler les montagnes et frémir les passants. Nicodème commença ainsi :

Dans les sombres forêts des Apennins existe une caverne de brigands. Le chef dit à l’un d’eux : Nicodème, raconte-nous une de ces histoires qui font trembler les montagnes et frémir les passants. Nicodème commença ainsi :

Dans les sombres forêts des Apennins…



Simon affolé s’écrit :

Arrête mon oncle, ça m’poigne dans l’dos!

dimanche 23 novembre 2008

La chapelière

On venait de loin magasiner chez Madame Amyot. Sa réputation dépassait largement Kénogami et le Saguenay. On allait jusqu’à traverser le Parc des Laurentides pour trouver chez elle la coiffure idéale.

C’était l’époque où le chapeau faisait obligatoirement partie de la toilette et où les femmes ne pouvaient pas entrer à l’église sans couvre-chef.

Utilitaire, il était aussi parure. Il était même l’objet d’un rituel à Pâques où les élégantes se faisaient une coquette obligation d’arborer un nouveau chapeau de paille. Les distractions à coup sûr nous faisaient perdre notre latin pendant la messe.

Revenons à Madame Amyot dont la réputation tenait non seulement de son bon goût mais surtout de sa franchise et de son franc parler. Grande de taille, elle en imposait au sens propre comme au sens figuré.

Un jour, je l’ai entendue dire à une cliente vêtue d’un pantalon :

— Revenez me voir quand vous serez habillée, madame.

Après le départ de la dame :

— Je ne coiffe pas les hommes.

Les habituées apportaient souvent le vêtement qui demandait le chapeau assorti. Madame Amyot réussissait rapidement l’agencement approprié.

J’ai souvenir de mon premier achat chez elle. Je devais assister à un mariage en août. Prévenue, j’avais apporté le costume en jersey blanc-cassé que je devais porter pour l’occasion. Je vois dame Amyot étaler le vêtement sur le comptoir, me regarder attentivement, puis ouvrir un grand tiroir et en sortir un superbe chapeau breton à large bord en velours noir et me le déposer sur la tête. Ravissant!

Dès lors, j’ai compris pourquoi on venait de loin la consulter.

lundi 17 novembre 2008

Madame Thibodeau

Notre travail de représentantes pour la Librairie oblate nous amenait, ma sœur Madeleine et moi, à visiter aussi les communautés religieuses de la Nouvelle-Angleterre.

Grâce à une amie qui la connaissait, une dame Thibodeau de Boston nous offrit généreusement de loger chez elle.

Elle était originaire de Tracadie et veuve de Victor, un riche homme d’affaire. Elle avait conservé le parler coloré des Acadiens.

Les p’tites filles, y a pas de gêne. Ma maison est grande sans bon sens et vous serions comme chez vous

En effet sa maison était vaste et elle était entourée d’un grand jardin abondamment fleuri.

Nous fûmes accueillies par Madame Thibodeau à bras ouverts et avec moult démonstrations d’enthousiasme. Sa fille unique June, aussi exubérante que sa mère, vivait sous le même toit avec sa famille.

Lovely baby

Le temps de ranger nos affaires et on nous convie à souper. Le mari de June est là dans toute sa stature d’athlète, charmant, mais silencieux. Leur bébé, assis dans une chaise haute, me fige. Il est trisomique et hydrocéphale. Que dire? J’observe et j’écoute. June est émouvante de tendresse envers son bébé. Durant le repas elle nous apprend comment cet enfant fut désiré, et à quel prix. Infertile, le couple a eu recours à l’insémination artificielle, chose que j’ignorais à l’époque.

Le doctor, nous expliqua-t-elle, a pris la jarme de mon mari et l’a mise dans mon ventre. J’ai pu comme ça avoir my lovely baby. Un miracle!

Sa mère un peu puritaine sursaute :

Voyons June, c’est pas des choses à raconter à des p’tites filles.


J’avais vingt ans et Mado vingt-deux…

L'anniversaire de Victor

Le lendemain, madame Thibodeau nous annonce que c’est l’anniversaire de son mari et qu’elle aimerait aller sur la tombe de son défunt Victor qui est mort. Nous lui offrons de l’y conduire.

Chemin faisant, madame demande d’arrêter devant la boutique d’un fleuriste :

Stop here! Je veux acheter des peonies pour mon défunt Victor.

Elle revient à la voiture les bras chargés. Madeleine de peut s’empêcher de lui demander :

Pourquoi n’ avez-vous pas pris les pivoines de votre jardin? Il y en a en abondance…

Oui c’est vrai, mais ce gars-là, il a un business et il faut l’encourager.

Près de la tombe de son Victor, notre amie laisse aller ses larmes. Soudain elle s’arrête, porte la main à son cou et s’écrie :

My jewelleries! J’avions oublié my jewelleries !

Ce n’est pas grave…

Oui, c’est lui qui me les a données.

Elle se sentait fautive en ce jour particulier d’avoir omis cette délicatesse envers son Victor.

Retour d'un cousin prêtre

Le soir nous réservait une rencontre avec la famille élargie des Thibodeau. Notre hôte tenait à ce nous allions avec eux à l’aéroport afin d’accueillir le cousin prêtre qui revenait de Rome. Ce séjour dans la ville éternelle augmentait le haut prestige dont il jouissait déjà dans la famille.

Je m’attendais à voir arriver un religieux en soutane comme c’était encore l’usage au Québec. Ce fut, à mon grand étonnement, un homme en clergyman, imposant de taille, dégageant un certain charisme qui s’avança.

Impressionnée, je n’ai su dire plus que « please to meet you Father » tel qu’on me l’avait appris.

Le respect dont il fut l’objet à la fête familiale qui suivit témoignait de l’importance de ce personnage dans la famille. Mais tout le clinquant déployé avec ballons et crécelles profanait à mes yeux le sens profond de la rencontre.

La plage

Le lendemain, dimanche après la messe, June nous propose d’aller avec elle nous reposer à la plage. Elle nous amène dans ce qu’il nous semble être une foire avec manège, grande-roue, tamponneuses et tout le cirque.

Où est la plage?

There! me désignant la mer cachée par tout ce bazar.

Nouveau concept d’une plage où on trouve le repos!

Épilogue

Je reverrai madame Thibodeau deux ans plus tard alors que j’étais nouvellement mariée. De passage au Saguenay, elle fit chez nous une courte visite pour connaître mon mari et voir si j’avais mon rug rouge. (Je lui aurais dit, parait-il, que j’aimerais avoir un tapis rouge dans ma chambre.)

Chose plus sérieuse, elle m’apprit que le lovely baby était mort depuis un an et que June et son époux travaillaient for have another miracle.

Cette chère dame Thibodeau est allée depuis longtemps rejoindre son défunt Victor. A-t-elle pensé pour la circonstance porter les précieuses jewelleries qu’il lui avait offertes ?

jeudi 13 novembre 2008

La Ouananiche

L’été de mes seize ans aura eu une importance déterminante dans ma vie.

En cette année 1947 on célébrait le tricentenaire de la découverte du lac Saint-Jean par un grand pageant comptant au moins deux cents figurants sur une scène extérieure à Desbiens. Notre oncle Laurent Tremblay en était l’auteur et partageait la mise en scène avec le chorégraphe Maurice Lacasse Morénoff. Ce spectacle fut répété une dizaine de fois.

Avec mes sœurs Gilberte et Madeleine je fus invitée à en faire partie.
Ce fut pour moi des moments de rêve. Pour la première fois je vivais dans le monde merveilleux du théâtre et me découvrais une passion pour la danse.

C’est sans doute ce qu’à compris monsieur Morénoff lorsqu’il m’a proposé d’interpréter le solo vedette du numéro intitulé LA OUANANICHE, ce saumon d’eau douce aussi emblématique de la région que le bleuet.

La chorégraphie de ce numéro était descriptive et pleine de vivacité. Sur Pizzicato Polka de Johann Strauss une vingtaine de danseuses personnifiant les ouananiches simulaient le va et vient des poissons dans l’eau à travers des voiles bleutés en mouvements ondulatoires. Vers la fin un pêcheur lance sa ligne. Une imprudente (c’était moi) mord à l’hameçon et c’est dans une pirouette de grande agilité qu’elle est entraînée hors de l’eau. Fin du numéro. Applaudissements.

L’acteur qui jouait le rôle du pêcheur était un charmant jeune étudiant en génie qui s’appelait Robert. Mais le véritable pêcheur de cet été là, portait le nom de Claude. Son travail d’animateur sur le train qui amenait les spectateurs de Chicoutimi à Desbiens lui permit d’assister à toutes les représentations. La première fois qu’il est venu me féliciter dans les coulisses je fus d’emblée séduite par l’élégance de ce jeune homme souriant, portant béret béarnais et appareil-photo en bandoulière. Ses brèves visites successives me donnaient des ailes.

Monsieur Morénoff n’aura jamais su pourquoi la ouananiche, à sa grande satisfaction, bondissait de plus en plus haut d’un soir à l’autre.

La ouananiche, elle, savait quel hameçon magique l’avait piquée.

lundi 10 novembre 2008

Émotion

La cérémonie religieuse est terminée. On remet l’urne funéraire de Madeleine à Laura, sa fille unique.

Dans un geste affectueux, Laura dépose l’urne de sa mère sur son cœur, l’entourant avec tendresse de ses bras en une dernière étreinte. Lentement, elle descend l’allée centrale de l’église, puis les longues marches de l’escalier extérieur, et l’emmène vers son repos éternel au cimetière tout à côté.

Image émouvante de l'une, portant sur son sein, l'autre qui l’a portée, il y a plus de cinquante ans.

dimanche 9 novembre 2008

Coups de cœur

Micheline et Arthur Marsolais nous ont offert un cadeau original à notre arrivée à Québec en 1997. Ils avaient invité à leur table nos amis les plus chers parmi ceux que nous avions connus au Saguenay et qui habitaient maintenant Québec.

Nous étions douze. Ce fut une rencontre animée et chaleureuse. Cette belle grappe de bleuets était manifestement heureuse de se retrouver réunie dans le salon de nos amis de Cap-Rouge.

Cette soirée devait nous réserver des surprises. Nos hôtes avaient demandé à chacun des invités de partager avec nous son coup de cœur dans cette ville où nous avions choisi de vivre.

C’est durant le repas que chacun fut invité à livrer son coup de cœur. Après onze ans je ne voudrais pas trahir leurs propos. Je vais quand même tenter de rappeler ici leur choix.

Rodolphe exhibe une pierre. C’est le symbole de son coup de cœur. Québec, dit-il, est une ville de pierres. Il nous invite à découvrir toute la beauté de ces maisons de pierres dont certaines ont plusieurs siècles. Comme nous, il vient d’une région où les maisons sont en bois et se souvient du choc qu’il avait eu lors de son premier voyage à Québec devant la solidité des bâtiments.

Suzie, plus pragmatique, nous remet une liste avec adresses et numéros de téléphone des meilleurs services professionnels et alimentaires de notre quartier. Elle nous apprend qu’aux Halles du Petit-Cartier on trouve : médecin, pharmacienne, optométriste, physiothérapeute, boulangerie, épicerie, boucherie, poissonnerie, fromager, traiteur... Et j’en passe. Idée géniale qui nous facilitera bien des démarches par la suite.

André et Louise vivent leur lune de miel. Il va de soi que leurs coups de cœur soient teintés de romantisme.

André nous propose des randonnées dans le Parc de la Plage Jacques-Cartier, cet oasis de paix au cœur de la ville trépidante où on peut se promener en toute tranquillité près du fleuve.

Louise, nouvelle venue, adoptée spontanément, nous amène le soir dans la rue du Petit-Champlain sous la neige alors que les flocons scintillent à la lumières des enseignes des boutiques des artisans.

Gérard, fidèle abonné à l’Orchestre symphonique de Québec, nous suggère fortement de suivre les saisons de l’orchestre aux programmes toujours intéressants. (Il lui arrivera par la suite de nous faire bénéficier de ses billets lorsqu’il devra s’absenter.)

Quant à Louise, son coup de cœur porte sur l’importance et la richesse de l’amitié. Elle rappelle avec émotion comment, lorsqu’elle a connu Gérard, elle s’est sentie accueillie chaleureusement par les nombreux amis de ce dernier.

Laurent nous propose le Parc Jeanne-d’Arc, bijou paysager situé en contrebas sur les Plaines d’Abraham tout près de notre nouvelle demeure. Conçu à la française et planté à l’anglaise, ce parc demeure un lieu d’émerveillement durant toutes les saisons. Tous les jours depuis, cet endroit est pour moi un des buts de mes marches quotidiennes.

Rose, anthropologue active, a une pensée spéciale pour les marginaux et itinérants de la Place d’Youville. Elle nous sensibilise aux problèmes sociaux de la ville qui cache sous sa beauté beaucoup de misère.

Nos hôtes terminent la collection des coups de cœur.

Arthur, grand lecteur, nous mentionne une des sources où il puise sans doute son érudition : la librairie Pantoute. J’ai cru au départ que c’était une blague. Souvent pince-sans-rire, cela aurait été possible. Mais non, cette librairie au savoureux nom de Pantoute existe bel et bien, sur la rue Saint-Jean, depuis plus de vingt ans.

Pour Micheline son coup de cœur est un coin discret, ombragé, idéal pour la détente : le parc du Cavalier-du-Moulin situé tout au bout de la rue Mont-Carmel où loge le Conservatoire d’art dramatique. Il offre une vue originale sur le vieux Québec. Tout petit espace public, il est un vestige de la Nouvelle-France.

J’espère avoir rappelé ici l’essentiel des coups de cœur de nos amis. Je retiens surtout de cette réunion la constance des liens d’amitié créés au Saguenay dans les années soixante.

Claude et moi gardons un souvenir ému de cette soirée. Merci à Micheline et Arthur pour ce mémorable cadeau.

lundi 3 novembre 2008

Rugissement

Voici une histoire de lionne que je tiens de la protagoniste elle-même.

Yves et Martine sont en vacances en France avec leurs deux filles, Ariane sept ans et Évelyne quinze mois. Ils soupent dans un bistro parisien. À la fin du repas, Évelyne, sans doute fatiguée, se met à pleurer.

On a beau essayer de la consoler, de lui offrir biscotte, fruit, jouet, rien ne réussit à la calmer. Les pleurs continuent de plus belle au grand désarroi des parents qui décident de quitter l’estaminet.

À la table voisine il y a un couple de personnes âgées qui sont accompagnées de leur chien. La vieille s’indigne à haute voix auprès du garçon de table :

A-t-on idée d’amener de jeunes enfants au restaurant ?

Le garçon de table approuve d’un geste de la tête, tout en caressant gentiment le toutou du couple. Martine sent bondir la mère lionne en elle. Elle se lève et demande à la dame :

Madame, avez-vous des petits-enfants ?

Non, Madame.

Tant mieux, car ils seraient bien malheureux d’avoir une grand-mère si peu tolérante !

Et au garçon de table :

Vous, Monsieur, êtes-vous marié ?

Pas encore, Madame !

Si cela vous arrive, je vous souhaite d’avoir beaucoup de petits chiens !

Vlan ! Et elle sort avec les enfants, tandis qu’Yves règle l’addition. Le garçon, contrit, le prie de l’excuser et avoue humblement tirer leçon de l’incident.