dimanche 30 novembre 2008

Tremblement de terre

Le 25 novembre 1988, à 18h46, l’est du Canada enregistrait son plus important séisme en 60 ans, un tremblement de terre de magnitude 5,9 sur l’échelle Richter allait semer l’émoi chez plusieurs résidents du Québec. Son épicentre était situé à 50 kilomètres au sud de Chicoutimi, mais fut ressenti à plus 2000 kilomètres jusqu’à Montréal et Washington.

Voilà ce que rapporte le journal Le Soleil d’aujourd’hui, vingt ans plus tard jour pour jour.

Souvenir

Je me souviens de cet événement comme s’il était arrivé hier. Des détails sont inscrits dans ma mémoire auditive, visuelle et émotive tant le choc fut grand pour Claude et moi.

La veille une secousse brève nous avait réveillés au cœur de la nuit. Premier signe avant-coureur. La pleine magnitude du séisme est survenue quinze heures plus tard.

Je suis à peindre dans mon atelier au sous-sol de notre maison à Jonquière lorsque j’entends un grondement sourd. Surréaliste, cela ressemble aux roulements des tanks soviétiques entrant à Prague dans le film l’insoutenable légèreté de l’être que je viens de voir au cinéma.

Les secousses augmentent sous mes pieds. La lumière s’éteint. Claude me crie de monter. Alors qu’à quatre pattes j’escalade l’escalier, j’entends le tintamarre de la vaisselle qui tombe des armoires. Nous nous retrouvons rapidement dehors dans le jardin. Nous sommes là enlacés. Je crains que la terre s’ouvre devant nous pour nous engloutir comme dans une scène apocalyptique.

Fin des secousses. Atmosphère étrange. Odeur de souffre.


Dans la rue

Machinalement nous allons dans la rue obscure en silence. Une femme affolée court et crie : Fernand, Fernand! Où es-tu Fernand? Nous apprenons que le Fernand dès les premières secousses est sorti de la maison, a sauté dans son auto et a déguerpi.

Un voisin dit : Chez moi, la cheminée s’est effondrée avec fracas par l’intérieur et ma femme est sous le choc. Un autre arrive en camionnette et demande tout bonnement depuis quand l’électricité est en panne. En roulant il n’a rien senti.

Des voix inaudibles nous parviennent de-ci de-là. Progressivement les gens rentrent chez eux. Nous faisons de même.

Le premier regard de Claude est pour la bibliothèque. Il y était assis au début du tremblement de terre. Il se souvient avoir entendu tomber des livres. Une grande étagère à la dimension d’un mûr est déplacée de sa base et tient en équilibre précaire. Il l’a échappé belle!

Le téléphone est coupé. L’électricité aussi. La radio donne constamment des nouvelles du séisme saguenéen. Nous pensons à nos enfants de Montréal qui doivent s’inquiéter.


François

En fin de soirée les communications reviennent. François est le premier à nous joindre. Il s’enquière de la situation de ses parents.

— Nous allons bien et il nous semble que nous n’ayons que des bris à la bibliothèque.

— J’arrive !


Cinq heures plus tard François était à la maison avec… son coffre à outils. Ce geste d’amour filial nous a si touchés que c’est encore avec émotion que je l’évoque.


Épilogue

Tout compte fait, nous sommes sortis chanceux de cette aventure. D’autres au Saguenay ont subi des dommages matériels considérables et certains des séquelles psychologiques qui ont pris du temps à se résorber. Celle qui cherchait son Fernand tomba dans une psychose dont elle ne s’est jamais remise.

lundi 24 novembre 2008

Mon père, conteur

Mon père était un conteur. Il nous racontait l’Histoire à sa façon par des récits pittoresques où la chronologie n’existait pas. L’Antiquité chevauchait le Moyen-âge, l’Ancien et Nouveau Testament se confondaient avec l’actualité. Avec lui, l’Histoire se déroulait au présent et il était toujours présent dans l’histoire.

Ma mère par souci de rectitude remettait subtilement les choses en ordre à la fin du récit.


Compagnon des héros

Papa nous servait ses héros favoris dans des versions différentes toutes aussi passionnantes. La diversité de son auditoire stimulait son imagination.

Ses récits commençaient toujours par : Quand j’étais avec… ou… Un jour alors que nous étions… et moi…

Le comble de ses fantaisies l’amenait à mettre en scène Gengis Khan, Buffalo Bill et Josué dans le même récit. Mais ordinairement il nous racontait les faits héroïques d’un seul héros à la fois. Alors cela devenait une grande fresque abondante de détails savoureux.

Avec Gengis Khan, chef des Mongols, il nous a amenés en Russie, en Chine, en Perse, à la conquête de l’Asie. Nous avions droit à la longue chevauchée des troupes, à la couleur des chevaux, à la fatigue des hommes, à une description des habits des vaincus et des vainqueurs.

Buffalo Bill fut à mon avis son super héros. Pensez donc, tuer 69 bisons en une journée! Papa nous a raconté que cet homme avait dirigé le spectacle le plus populaire du monde qu’il a présenté dans toute l’Amérique du nord y compris au Canada et à Paris en 1905 au pied de la tour Eiffel devant trois millions de spectateurs. Il avait recréé en spectacle l’atmosphère de l’Ouest américain, la chasse au bison et l’attaque d’une diligence. Mon père était de tous les numéros.

Quant à Josué, nous avons entendu le son des trompettes antiques utilisées par les Hébreux contre les murailles de Jéricho lors de la conquête de Canaan.

Josué m’a envoyé dire à ses hommes de faire sonner les trompettes pendant sept jours en faisant sept fois le tour de la ville. À la fin, les murailles de Jéricho se sont effondrées et on a pu prendre la ville.

Notre père savait saisir le moment opportun.


L'histoire sans fin

Un soir d’été à la brunante nous prenons l’air sur la galerie. Simon, mon cousin de douze ans, est en promenade chez-nous. Papa commence à voix basse cette histoire sans fin et en augmente progressivement le crescendo:

Dans les sombres forêts des Apennins existe une caverne de brigands. Le chef dit à l’un d’eux : Nicodème, raconte-nous une de ces histoires qui font trembler les montagnes et frémir les passants. Nicodème commença ainsi :

Dans les sombres forêts des Apennins existe une caverne de brigands. Le chef dit à l’un d’eux : Nicodème, raconte-nous une de ces histoires qui font trembler les montagnes et frémir les passants. Nicodème commença ainsi :

Dans les sombres forêts des Apennins existe une caverne de brigands. Le chef dit à l’un d’eux : Nicodème, raconte-nous une de ces histoires qui font trembler les montagnes et frémir les passants. Nicodème commença ainsi :

Dans les sombres forêts des Apennins…



Simon affolé s’écrit :

Arrête mon oncle, ça m’poigne dans l’dos!

dimanche 23 novembre 2008

La chapelière

On venait de loin magasiner chez Madame Amyot. Sa réputation dépassait largement Kénogami et le Saguenay. On allait jusqu’à traverser le Parc des Laurentides pour trouver chez elle la coiffure idéale.

C’était l’époque où le chapeau faisait obligatoirement partie de la toilette et où les femmes ne pouvaient pas entrer à l’église sans couvre-chef.

Utilitaire, il était aussi parure. Il était même l’objet d’un rituel à Pâques où les élégantes se faisaient une coquette obligation d’arborer un nouveau chapeau de paille. Les distractions à coup sûr nous faisaient perdre notre latin pendant la messe.

Revenons à Madame Amyot dont la réputation tenait non seulement de son bon goût mais surtout de sa franchise et de son franc parler. Grande de taille, elle en imposait au sens propre comme au sens figuré.

Un jour, je l’ai entendue dire à une cliente vêtue d’un pantalon :

— Revenez me voir quand vous serez habillée, madame.

Après le départ de la dame :

— Je ne coiffe pas les hommes.

Les habituées apportaient souvent le vêtement qui demandait le chapeau assorti. Madame Amyot réussissait rapidement l’agencement approprié.

J’ai souvenir de mon premier achat chez elle. Je devais assister à un mariage en août. Prévenue, j’avais apporté le costume en jersey blanc-cassé que je devais porter pour l’occasion. Je vois dame Amyot étaler le vêtement sur le comptoir, me regarder attentivement, puis ouvrir un grand tiroir et en sortir un superbe chapeau breton à large bord en velours noir et me le déposer sur la tête. Ravissant!

Dès lors, j’ai compris pourquoi on venait de loin la consulter.

lundi 17 novembre 2008

Madame Thibodeau

Notre travail de représentantes pour la Librairie oblate nous amenait, ma sœur Madeleine et moi, à visiter aussi les communautés religieuses de la Nouvelle-Angleterre.

Grâce à une amie qui la connaissait, une dame Thibodeau de Boston nous offrit généreusement de loger chez elle.

Elle était originaire de Tracadie et veuve de Victor, un riche homme d’affaire. Elle avait conservé le parler coloré des Acadiens.

Les p’tites filles, y a pas de gêne. Ma maison est grande sans bon sens et vous serions comme chez vous

En effet sa maison était vaste et elle était entourée d’un grand jardin abondamment fleuri.

Nous fûmes accueillies par Madame Thibodeau à bras ouverts et avec moult démonstrations d’enthousiasme. Sa fille unique June, aussi exubérante que sa mère, vivait sous le même toit avec sa famille.

Lovely baby

Le temps de ranger nos affaires et on nous convie à souper. Le mari de June est là dans toute sa stature d’athlète, charmant, mais silencieux. Leur bébé, assis dans une chaise haute, me fige. Il est trisomique et hydrocéphale. Que dire? J’observe et j’écoute. June est émouvante de tendresse envers son bébé. Durant le repas elle nous apprend comment cet enfant fut désiré, et à quel prix. Infertile, le couple a eu recours à l’insémination artificielle, chose que j’ignorais à l’époque.

Le doctor, nous expliqua-t-elle, a pris la jarme de mon mari et l’a mise dans mon ventre. J’ai pu comme ça avoir my lovely baby. Un miracle!

Sa mère un peu puritaine sursaute :

Voyons June, c’est pas des choses à raconter à des p’tites filles.


J’avais vingt ans et Mado vingt-deux…

L'anniversaire de Victor

Le lendemain, madame Thibodeau nous annonce que c’est l’anniversaire de son mari et qu’elle aimerait aller sur la tombe de son défunt Victor qui est mort. Nous lui offrons de l’y conduire.

Chemin faisant, madame demande d’arrêter devant la boutique d’un fleuriste :

Stop here! Je veux acheter des peonies pour mon défunt Victor.

Elle revient à la voiture les bras chargés. Madeleine de peut s’empêcher de lui demander :

Pourquoi n’ avez-vous pas pris les pivoines de votre jardin? Il y en a en abondance…

Oui c’est vrai, mais ce gars-là, il a un business et il faut l’encourager.

Près de la tombe de son Victor, notre amie laisse aller ses larmes. Soudain elle s’arrête, porte la main à son cou et s’écrie :

My jewelleries! J’avions oublié my jewelleries !

Ce n’est pas grave…

Oui, c’est lui qui me les a données.

Elle se sentait fautive en ce jour particulier d’avoir omis cette délicatesse envers son Victor.

Retour d'un cousin prêtre

Le soir nous réservait une rencontre avec la famille élargie des Thibodeau. Notre hôte tenait à ce nous allions avec eux à l’aéroport afin d’accueillir le cousin prêtre qui revenait de Rome. Ce séjour dans la ville éternelle augmentait le haut prestige dont il jouissait déjà dans la famille.

Je m’attendais à voir arriver un religieux en soutane comme c’était encore l’usage au Québec. Ce fut, à mon grand étonnement, un homme en clergyman, imposant de taille, dégageant un certain charisme qui s’avança.

Impressionnée, je n’ai su dire plus que « please to meet you Father » tel qu’on me l’avait appris.

Le respect dont il fut l’objet à la fête familiale qui suivit témoignait de l’importance de ce personnage dans la famille. Mais tout le clinquant déployé avec ballons et crécelles profanait à mes yeux le sens profond de la rencontre.

La plage

Le lendemain, dimanche après la messe, June nous propose d’aller avec elle nous reposer à la plage. Elle nous amène dans ce qu’il nous semble être une foire avec manège, grande-roue, tamponneuses et tout le cirque.

Où est la plage?

There! me désignant la mer cachée par tout ce bazar.

Nouveau concept d’une plage où on trouve le repos!

Épilogue

Je reverrai madame Thibodeau deux ans plus tard alors que j’étais nouvellement mariée. De passage au Saguenay, elle fit chez nous une courte visite pour connaître mon mari et voir si j’avais mon rug rouge. (Je lui aurais dit, parait-il, que j’aimerais avoir un tapis rouge dans ma chambre.)

Chose plus sérieuse, elle m’apprit que le lovely baby était mort depuis un an et que June et son époux travaillaient for have another miracle.

Cette chère dame Thibodeau est allée depuis longtemps rejoindre son défunt Victor. A-t-elle pensé pour la circonstance porter les précieuses jewelleries qu’il lui avait offertes ?

jeudi 13 novembre 2008

La Ouananiche

L’été de mes seize ans aura eu une importance déterminante dans ma vie.

En cette année 1947 on célébrait le tricentenaire de la découverte du lac Saint-Jean par un grand pageant comptant au moins deux cents figurants sur une scène extérieure à Desbiens. Notre oncle Laurent Tremblay en était l’auteur et partageait la mise en scène avec le chorégraphe Maurice Lacasse Morénoff. Ce spectacle fut répété une dizaine de fois.

Avec mes sœurs Gilberte et Madeleine je fus invitée à en faire partie.
Ce fut pour moi des moments de rêve. Pour la première fois je vivais dans le monde merveilleux du théâtre et me découvrais une passion pour la danse.

C’est sans doute ce qu’à compris monsieur Morénoff lorsqu’il m’a proposé d’interpréter le solo vedette du numéro intitulé LA OUANANICHE, ce saumon d’eau douce aussi emblématique de la région que le bleuet.

La chorégraphie de ce numéro était descriptive et pleine de vivacité. Sur Pizzicato Polka de Johann Strauss une vingtaine de danseuses personnifiant les ouananiches simulaient le va et vient des poissons dans l’eau à travers des voiles bleutés en mouvements ondulatoires. Vers la fin un pêcheur lance sa ligne. Une imprudente (c’était moi) mord à l’hameçon et c’est dans une pirouette de grande agilité qu’elle est entraînée hors de l’eau. Fin du numéro. Applaudissements.

L’acteur qui jouait le rôle du pêcheur était un charmant jeune étudiant en génie qui s’appelait Robert. Mais le véritable pêcheur de cet été là, portait le nom de Claude. Son travail d’animateur sur le train qui amenait les spectateurs de Chicoutimi à Desbiens lui permit d’assister à toutes les représentations. La première fois qu’il est venu me féliciter dans les coulisses je fus d’emblée séduite par l’élégance de ce jeune homme souriant, portant béret béarnais et appareil-photo en bandoulière. Ses brèves visites successives me donnaient des ailes.

Monsieur Morénoff n’aura jamais su pourquoi la ouananiche, à sa grande satisfaction, bondissait de plus en plus haut d’un soir à l’autre.

La ouananiche, elle, savait quel hameçon magique l’avait piquée.

lundi 10 novembre 2008

Émotion

La cérémonie religieuse est terminée. On remet l’urne funéraire de Madeleine à Laura, sa fille unique.

Dans un geste affectueux, Laura dépose l’urne de sa mère sur son cœur, l’entourant avec tendresse de ses bras en une dernière étreinte. Lentement, elle descend l’allée centrale de l’église, puis les longues marches de l’escalier extérieur, et l’emmène vers son repos éternel au cimetière tout à côté.

Image émouvante de l'une, portant sur son sein, l'autre qui l’a portée, il y a plus de cinquante ans.

dimanche 9 novembre 2008

Coups de cœur

Micheline et Arthur Marsolais nous ont offert un cadeau original à notre arrivée à Québec en 1997. Ils avaient invité à leur table nos amis les plus chers parmi ceux que nous avions connus au Saguenay et qui habitaient maintenant Québec.

Nous étions douze. Ce fut une rencontre animée et chaleureuse. Cette belle grappe de bleuets était manifestement heureuse de se retrouver réunie dans le salon de nos amis de Cap-Rouge.

Cette soirée devait nous réserver des surprises. Nos hôtes avaient demandé à chacun des invités de partager avec nous son coup de cœur dans cette ville où nous avions choisi de vivre.

C’est durant le repas que chacun fut invité à livrer son coup de cœur. Après onze ans je ne voudrais pas trahir leurs propos. Je vais quand même tenter de rappeler ici leur choix.

Rodolphe exhibe une pierre. C’est le symbole de son coup de cœur. Québec, dit-il, est une ville de pierres. Il nous invite à découvrir toute la beauté de ces maisons de pierres dont certaines ont plusieurs siècles. Comme nous, il vient d’une région où les maisons sont en bois et se souvient du choc qu’il avait eu lors de son premier voyage à Québec devant la solidité des bâtiments.

Suzie, plus pragmatique, nous remet une liste avec adresses et numéros de téléphone des meilleurs services professionnels et alimentaires de notre quartier. Elle nous apprend qu’aux Halles du Petit-Cartier on trouve : médecin, pharmacienne, optométriste, physiothérapeute, boulangerie, épicerie, boucherie, poissonnerie, fromager, traiteur... Et j’en passe. Idée géniale qui nous facilitera bien des démarches par la suite.

André et Louise vivent leur lune de miel. Il va de soi que leurs coups de cœur soient teintés de romantisme.

André nous propose des randonnées dans le Parc de la Plage Jacques-Cartier, cet oasis de paix au cœur de la ville trépidante où on peut se promener en toute tranquillité près du fleuve.

Louise, nouvelle venue, adoptée spontanément, nous amène le soir dans la rue du Petit-Champlain sous la neige alors que les flocons scintillent à la lumières des enseignes des boutiques des artisans.

Gérard, fidèle abonné à l’Orchestre symphonique de Québec, nous suggère fortement de suivre les saisons de l’orchestre aux programmes toujours intéressants. (Il lui arrivera par la suite de nous faire bénéficier de ses billets lorsqu’il devra s’absenter.)

Quant à Louise, son coup de cœur porte sur l’importance et la richesse de l’amitié. Elle rappelle avec émotion comment, lorsqu’elle a connu Gérard, elle s’est sentie accueillie chaleureusement par les nombreux amis de ce dernier.

Laurent nous propose le Parc Jeanne-d’Arc, bijou paysager situé en contrebas sur les Plaines d’Abraham tout près de notre nouvelle demeure. Conçu à la française et planté à l’anglaise, ce parc demeure un lieu d’émerveillement durant toutes les saisons. Tous les jours depuis, cet endroit est pour moi un des buts de mes marches quotidiennes.

Rose, anthropologue active, a une pensée spéciale pour les marginaux et itinérants de la Place d’Youville. Elle nous sensibilise aux problèmes sociaux de la ville qui cache sous sa beauté beaucoup de misère.

Nos hôtes terminent la collection des coups de cœur.

Arthur, grand lecteur, nous mentionne une des sources où il puise sans doute son érudition : la librairie Pantoute. J’ai cru au départ que c’était une blague. Souvent pince-sans-rire, cela aurait été possible. Mais non, cette librairie au savoureux nom de Pantoute existe bel et bien, sur la rue Saint-Jean, depuis plus de vingt ans.

Pour Micheline son coup de cœur est un coin discret, ombragé, idéal pour la détente : le parc du Cavalier-du-Moulin situé tout au bout de la rue Mont-Carmel où loge le Conservatoire d’art dramatique. Il offre une vue originale sur le vieux Québec. Tout petit espace public, il est un vestige de la Nouvelle-France.

J’espère avoir rappelé ici l’essentiel des coups de cœur de nos amis. Je retiens surtout de cette réunion la constance des liens d’amitié créés au Saguenay dans les années soixante.

Claude et moi gardons un souvenir ému de cette soirée. Merci à Micheline et Arthur pour ce mémorable cadeau.

lundi 3 novembre 2008

Rugissement

Voici une histoire de lionne que je tiens de la protagoniste elle-même.

Yves et Martine sont en vacances en France avec leurs deux filles, Ariane sept ans et Évelyne quinze mois. Ils soupent dans un bistro parisien. À la fin du repas, Évelyne, sans doute fatiguée, se met à pleurer.

On a beau essayer de la consoler, de lui offrir biscotte, fruit, jouet, rien ne réussit à la calmer. Les pleurs continuent de plus belle au grand désarroi des parents qui décident de quitter l’estaminet.

À la table voisine il y a un couple de personnes âgées qui sont accompagnées de leur chien. La vieille s’indigne à haute voix auprès du garçon de table :

A-t-on idée d’amener de jeunes enfants au restaurant ?

Le garçon de table approuve d’un geste de la tête, tout en caressant gentiment le toutou du couple. Martine sent bondir la mère lionne en elle. Elle se lève et demande à la dame :

Madame, avez-vous des petits-enfants ?

Non, Madame.

Tant mieux, car ils seraient bien malheureux d’avoir une grand-mère si peu tolérante !

Et au garçon de table :

Vous, Monsieur, êtes-vous marié ?

Pas encore, Madame !

Si cela vous arrive, je vous souhaite d’avoir beaucoup de petits chiens !

Vlan ! Et elle sort avec les enfants, tandis qu’Yves règle l’addition. Le garçon, contrit, le prie de l’excuser et avoue humblement tirer leçon de l’incident.

jeudi 30 octobre 2008

Utilité de l'art

L’art est-il utile? Sempiternelle question que se pose souvent le public et parfois les artistes eux-mêmes. Quelques anecdotes puisées au cours des ans m’ont pour ma part rassurée sur le rôle éminemment utile qu’il joue dans la société.

Je me souviens avoir lu que la sœur du célèbre peintre chinois Zao Wou-ki lui reprocha un jour de ne pas exercer un métier utile au peuple. Elle militait dans le parti communiste au temps de Mao et estimait que la peinture qui n’enseigne rien au peuple est inutile. Le peintre lui raconta alors une vieille légende chinoise :

Un prisonnier est seul et ligoté. Il est désespéré et ne voit pas comment il pourra retrouver la liberté. Avec son pied il réussit à tracer sur le sol l’ébauche d’une souris puis s’endort. Au cours de son sommeil il rêve. Le petit rongeur prend vie et vient de ses dents acérées couper ses liens.


L’art libère.

En voici une autre. Quelqu’un demande un jour à un mendiant de Rome s’il est scandalisé de voir tant de dômes dorés dans la ville.

— Non, dit-il, cela me fait battre le cœur quand je les regarde.

L’art réjouit.

Autre anecdote, personnelle cette fois. Une dame de Jonquière m’appelle un jour pour me remercier de l’avoir sauvée.

— En quoi? demandai-je intriguée.

Vous vous souvenez que j’ai acquis il y a trois ans votre tableau « JEANNE » qui représente une femme assise à une fenêtre? Ce tableau m’a sauvé la vie. Il m’a aidée à sortir d’une profonde dépression qui me tenait recluse. Dès que j’étais assaillie d’idées noires, j’allais m’asseoir en face de cette femme. Sa sérénité m’apaisait. Grâce à elle je suis maintenant guérie et j’ouvre ma fenêtre à la vie. Je voulais vous dire merci.

L’art guérit.

Ici à Québec, ceux qu’on nomme les jeunes de la rue ont découvert qu’ils pouvaient faire des murales remarquablement belles sur les murs de la ville. En ce faisant, ils ont trouvé un sens à leur vie et gagné l’estime de leurs concitoyens.

L’art réhabilite.

L’art serait donc utile?

mercredi 29 octobre 2008

Beau gars

Je n’ai jamais eu de difficulté à trouver des modèles féminins pour poser dans mon atelier. Plus difficile ce fut du côté masculin.

Un jour, alors que je devais représenter un homme dans un tableau, j’ai demandé à un collègue s’il accepterait de poser pour mon projet. Surpris et flatté il accepte illico à mon grand contentement.

Le lendemain matin à la première heure, il m’appelle pour me dire qu’il se désistait. Pourquoi? Il avait informé sa femme et ses filles de la chose et cela avait déclenché de leur part hilarité et moquerie comme : Te prends-tu pour un Adonis? Il n’en avait pas dormi de la nuit.

Me voilà donc de nouveau à la recherche d’un autre modèle.

Mon fils François en vacances à la maison, témoin de ma déception, ose d’un air coquin :

Pourquoi chercher ailleurs alors que tu as un beau gars devant toi?

Pourquoi pas en effet? Jamais je n’avais pensé demander à un de mes fils de poser nu devant moi. J’avais pourtant sous les yeux le bel adonis que je cherchais pour mon tableau.

mardi 28 octobre 2008

Benjamin

À l’automne 1978, la directrice du Centre culturel de Jonquière, Madame Gaudreault, organise une visite à Washington où se tient une importante exposition des Impressionnistes à la National Gallery of Art. Je m’y inscris avec trois de mes amies Céline, Diane et Micheline.

Durant le voyage nous étions inséparables et c’est ensemble que nous avons découvert les monuments de Washington, ses musées, ses galeries et une boîte de jazz du quartier Georgetown dont je garde le souvenir de nos rires partagés. Ce fut une excellente immersion culturelle.

Le chemin du retour me réservait une rencontre bien spéciale.

Cela se passe à l’hôtel Sheraton de Bordentown dans le New Jersey où nous faisons escale pour la nuit. Céline et moi, ayant fini notre toilette avant les deux autres copines, nous descendons au bar pour un apéro. Nous prenons place au comptoir. Je remarque en face de nous un bel homme noir dans la cinquantaine qui semble amusé de nous voir jaser comme des pies dans une langue qu’il ne connaît manifestement pas.

L’heure du repas venu nous allons chercher nos amies à leur chambre. Nous devons repasser par le bar pour accéder à la salle à manger. Le beau noir est toujours là. Il exhibe au bout de son bras des lunettes. Je réalise que ce sont les miennes que j’ai oubliées sur le comptoir.

Oh, my eyes…! Merci!

À la fin du repas, le sauveur de mes yeux vient nous saluer à notre table. Je lui présente mes copines et lui offre une chaise près de Diane et Micheline parce que celles-ci sont célibataires et parlent parfaitement anglais. Je suis impressionnée de les voir échanger avec tant de facilité dans la langue de Shakespeare.

Grâce à leur traduction j’apprends qu’il s’appelle Benjamin, qu’il est psychologue et qu’il habite Bordentown, la ville où nous nous trouvons.

L’orchestre joue. Plusieurs couples sont déjà sur la piste. Benjamin se lève. Je pense qu’il veut prendre congé. Non. Il fait le tour de la table et m’invite à danser… Je constate avec quelle facilité il prend le rythme et dirige sa partenaire. Magie de la danse, ce langage universel qui supplée à nos carences linguistiques réciproques! Au moment de quitter, il me tend un papier et un stylo :

Your phone number, please.

Le lendemain je suis de retour chez nous. À ma grande surprise, je reçois un coup de fil. Comprenant peu l’anglais et ne le parlant pas d’avantage, je tente un compliment sur la qualité de sa voix pour rompre mon silence :

Your voice is hot.

Éclats de rire au bout du fil !

Is it not good ?

No. You have to say pleasant.

Nouveaux éclats de rire…

Est-ce l’exotisme, la curiosité, l’attrait ou… les trois ensemble qui amèneront d’autres appels téléphoniques? Ils deviendront assidus et forgeront entre nous une amitié qui durera près de trente ans. Débutée comme un flirt banal, notre relation évoluera et s’enrichira au fil du temps grâce à la connaissance de nos familles respectives.

Benjamin était un homme imposant de taille. Il possédait un charisme tel qu’il comprenait les êtres malgré ses lacunes linguistiques. Il avait un exceptionnel sens d’observation et une remarquable capacité d’écoute. Il était un être attachant. Son amitié m’était précieuse. J’ai eu souvent recours à ses conseils car je le savais capable de grande objectivité.

Le 1er décembre 2005 un message de sa fille Barbara m’apprenait que son père venait de mourir d’une crise cardiaque.

Claude, qui comprenait depuis toujours cette amitié exceptionnelle, m’a prise doucement dans ses bras pour partager ma peine.

Celui qu’avec le temps j’ai fini par appeler le sphinx et qui savait si bien écouter… n’appellera plus.


Québec, 28 juin 2008

lundi 27 octobre 2008

Strip tease


L’abbé Roland Larouche, curé de notre paroisse Saint-Raphaël de Jonquière, me demande de dire un mot lors de la visite pastorale de l’évêque. J’ai oublié à quel propos, mais je me souviens très bien de la timidité que je ressentais.


Au jour dit, Monseigneur Marius Paré, homme grand, filiforme et d’allure ascétique comme une icône byzantine, fait son entrée dans le chœur vêtu du costume d’apparat attribué aux princes de l’Église.


Impressionnée, je me sens bien petite. Plus mon temps de prendre la parole approche, plus mon angoisse augmente.


Je me suis rappelé un truc, lu je ne sais où, que pour démystifier un grand personnage on devait mentalement le mettre à nu. Forte de ce conseil judicieux, je me mets à l’imaginer sans ses parures, lui enlevant progressivement (Dieu me pardonne!) la crosse, la mitre, la chape, la chasuble, l’étole, le surplis, la soutane… ne lui laissant que son caleçon… Décence tout de même!


Magique. Ce strip-tease irrévérencieux aura eu le don de me le rendre humain et j’ai prononcé mon discours sans bafouiller.

Jour de l'an mémorable

Cette année-là (1970?) le jour de l’an à Kouchepagane a duré trois jours.

Une tempête de neige abondante accompagnée de vents violents durant toute la journée avait fini par bloquer les chemins et confiner les soixante-et-seize membres de la famille réunis pour la fête. Le soir venu il était impossible à quiconque de quitter la maison paternelle avant l’ouverture de la route du rang complètement recouverte de neige à hauteur de clôtures.

Selon la tradition, la réunion commençait le matin par une messe célébrée par oncle Victor dans la chapelle familiale. Toute la tribu, (comme aimait dire mon père) se rassemblait ensuite dans la grande salle pour recevoir la bénédiction paternelle et échanger les vœux de bonne année. Après quoi, on festoyait, chantait, racontait des histoires, jouait à des jeux de société. En fin de journée, chaque famille rentrait chez elle.

Cette fois la tempête est venue changer la donne.

Notre hôtesse et belle-sœur Thérèse avait comme d’habitude préparé un fabuleux festin pour une journée… mais nullement pour trois jours et pour autant de personnes. Elle m’avouera plus tard avoir passé la nuit blanche à faire mentalement l’inventaire de ses réserves et à penser aux menus du lendemain. Heureusement son garde-manger abondait de pâtés, poulets, cretons, beignes et pâtisseries.

Autre problème, comment loger tout ce monde? Les dix chambres de la maison ne peuvent coucher soixante-et-seize personnes en même temps. On suggère un système de rotation pour la nuit. Joueurs de cartes et dormeurs se relayent. Un lit se vide, d’autres personnes s’y glissent. Jeunes cousins et cousines transforment les planchers du salon et de la salle à manger en dortoirs. On bavarde plus que l’on dort…

Pour ma part je me souviens avoir dormi sur le tapis d’une chambre où étaient couchés dans le lit ma sœur Gillot avec son mari Jean et leur petit dernier Jean-Pascal.

Je me souviens aussi d’une situation cocasse : notre très orthodoxe oncle Victor tout habillé, col romain, soutane boutonnée et ceinturée de rouge, allongé sur le même lit que mon père et son épouse, tels des gisants d’un autre âge.

Dès l’aube du lendemain la maison bourdonne comme une ruche. Chacun veut faire sa part. Thérèse distribue les tâches. Le tout dans la bonne humeur. On ne manque de rien sauf de pain et…de cigarettes pour les fumeurs impénitents. Des volontaires, tels de hardis esquimaux, s’offrent à braver la tempête et à aller chercher en motoneige au village ces denrées fondamentales.

En fin de journée, la tempête se calme. Le ciel se dégage de ses nuages. Nous décidons, ma sœur Madeleine et moi, de sortir pour marcher sur la croûte de neige durcie tel que nous le faisions dans notre enfance. Moments privilégiés. Les dunes de neige sculptées par le vent s’étendent à perte de vue. Jeu d’ombre et de lumière sur un paysage surréaliste et éphémère. Tendresse partagée de deux sœurs.

Au matin du troisième jour le son des déneigeuses se fait entendre. Dans quelques heures la route s’ouvrira à la circulation. Autour de la maison on s’affaire à dégager les voitures ensevelies sous la neige afin de permettre à chacun de rentrer chez soi.

Cette année-là le premier de l’an aura duré plus longtemps que d’habitude. Il aura permis à tous d’échanger des confidences et de mieux se connaître. Il reste un des plus beaux souvenirs de la famille.

samedi 25 octobre 2008

Beauté

On m’a souvent demandé pourquoi je ne peignais que des enfants et de belles jeunes femmes. Ou encore, pourquoi jamais la laideur?

De façon spontanée je réponds que c’est la beauté qui est pour moi sujet d’émerveillement et qui m’inspire. Pour moi rien n’est plus gracieux que le corps humain au printemps de sa maturité. Cela n’exclut pas mon admiration pour la beauté sereine d’une vieille femme aux rides marquant l’histoire de sa vie, mais l’opportunité d’en avoir une comme modèle ne s’est pas présentée.

Quand je regarde mon cheminement artistique je constate que j’ai choisi mes modèles de façons diverses.

Par exemple Nadine qui posa pour moi pendant trois ans s’était offerte spontanément lors d’une rencontre dans la boutique où elle travaillait.

Dans le cas de Christine, c’est moi qui l’ai abordée lors d’une soirée sociale. J’avais été séduite et inspirée par sa longue chevelure noire et bouclée.

Pour illustrer La promise du lac c’est l’éditeur qui m’avait proposé Sonia. Dès notre première rencontre la chimie s’est installée entre nous deux. Quinze tableaux résultèrent de notre collaboration.

Dans d’autres cas c’est le sujet des tableaux qui m’a guidé. Ainsi, lorsque j’ai abordé le thème de la musique, je me suis rendue au Conservatoire de Chicoutimi pour y rencontrer le directeur et lui exposer mon projet. Celui-ci me donna carte blanche pour observer et choisir les différentes instrumentistes qui m’intéressaient.

Enfin il est arrivé que des amis et parents (dont quelques hommes) acceptent volontiers de poser dans mon atelier.

Poser est un art exigeant qui demande discipline, naturel et disponibilité. Il nécessite une confiance réciproque entre le modèle et le peintre. Le modèle, loin d'être une potiche inerte, se doit d’être vivant et expressif jusqu’au bout des pieds. J’ai toujours eu une excellente collaboration de tous mes modèles. Certaines m’ont avoué que ce fut une des plus belles expériences de leur vie.

Au sujet de la laideur, certains expressionnistes comme Schiele et Goya ont su rendre des sujets morbides avec succès. Moi je m’en sens incapable.

jeudi 23 octobre 2008

Ice pack

Notre petite-fille Ariane est douée pour faire des esclandres théâtraux. Un jour elle nous en a servi tout un qui relevait du pur vaudeville.

Elle est venue consulter un dermatologue à Québec. Celui-ci lui prescrit un sérum qu’elle doit tenir au froid. Comme elle ne rentre pas à Chicoutimi avant quelques heures, il lui demande où elle loge.

Chez mes grands-parents.

Il vous faudrait placer le médicament sous un ice pack. Je vous suggère de vous en acheter un, car vos grands-parents ne doivent pas avoir d’ice pack.

Comment ça, ils n’ont pas d’Ice pack? Si vous connaissiez mes grands-parents vous ne diriez pas ça. Mon grand-père est même meilleur en informatique que mon père. Ils ne sont pas facile à suivre vous savez… Ils voyagent, suivent des cours à l’université, dansent le tango… Ils en ont sûrement des ice packs.

Et notre Ariane de poursuivre sa tirade manifestant son indignation de constater qu’on jugeait à priori ses grands-parents sans les connaître…

Non mais dire qu’ils n’ont pas d’ice pack mes grands-parents! Franchement…!

Le pantacourt

Dans les années soixante j’ai appris qu’en voyage on ne doit pas choquer les gens par sa tenue vestimentaire.

À cette époque-là, c’était la mode au Québec du pantacourt. C’était un short que l’on disait habillé (moins que plus) et que l’on mettait le soir.

Le mien était en fin jersey noir. Je le portais sur un collant transparent avec des talons hauts. Je complétais ma toilette d’une tunique de soie cintrée à manches longues et col girafe. C’était ici très mode.

En toute innocence j’avais placé ce pantacourt dans ma valise pour notre voyage en France. Le lendemain de notre arrivée à Paris, je le porte pour une soirée au théâtre Le Châtelet.

Ce fut à l’entracte, lorsque Claude et moi sommes entrés au foyer du théâtre, que j’ai vu par des regards de travers que ma tenue était inappropriée. Deux dames vêtues de robes longues mesuraient des yeux la hauteur de mes jambes. L’une d’elles, pourtant décolletée jusqu’au nombril, dit à l’autre d’un air snob et assez fort pour que je l’entende :

On se croirait à Pigalle!

Mon pantacourt est resté dans ma valise tout le reste du voyage.

mercredi 22 octobre 2008

La murale du Krieghoff

Hiver 2003. Cela fait maintenant cinq ans que nous habitons l’immeuble Krieghoff à Québec. Chaque fois que je vais dans le garage, à la sortie de l’ascenseur, je fais face à un mur de béton des plus insignifiants. L’idée d’y peindre une murale devient de plus en plus impérative en moi, d’autant plus que ce mur jouxte notre espace de stationnement.

Je me mets donc au dessin dans le secret de mon atelier et laisse aller mon imagination afin de mettre un peu de vie en cet espace gris. Les croquis terminés, je soumets mon projet au conseil d’administration de l’immeuble qui accepte ce legs avec enthousiasme.

Le sujet? Un hymne à la beauté patrimoniale de la ville de Québec et un clin d’œil affectueux à nos six petits-enfants. On y voit une rue en perspective bordée de maisons évoquant des caractéristiques de l’architecture de Québec. À gauche, ce sont des résidences, à droite des commerces : restaurant, auberge et galerie d’art. Dans la vitrine de cette dernière je me suis permis d’y placer certaines œuvres que j’aime.
Au premier plan un chat traverse la rue pavée de pierres sous l’œil amusé de Laurent penché au bord d’une fenêtre qui l’observe. Les trois grandes, Ariane, Léa et Fanny s’en vont vers le parc qu’on aperçoit au fond tandis que les deux jeunes, Cloé et Évelyne, en reviennent.

Me voici donc à l’œuvre : d’abord il me faut carreler et tirer des lignes au fusain pour transposer sur la surface de béton de onze par neuf pieds le dessin conçu sur papier, puis par la suite je dois peindre le tout avec des couleurs. Cette réalisation aura pris deux mois et demi de travail.

Dès le début de mon travail, notre gérant, monsieur Soucy, m’a offert des escabeaux, une table pliante pour déposer mon matériel, un projecteur et un lieu de rangement pour y déposer le tout en sécurité à la fin de la journée.

Loin d’être lourd ce projet m’a apporté beaucoup de plaisirs grâce particulièrement aux nombreux contacts avec les résidents de notre immeuble qui y allaient de leurs commentaires. Je n’aurais jamais pu rêver meilleure façon de connaître tous ces gens.

Les réactions se manifestent différemment selon les tempéraments. Les timides esquissent tout simplement un sourire au passage. Les curieux s’arrêtent et observent un moment sans me poser de questions. Les audacieux y vont de leurs observations.

Un monsieur s’arrête en retrait tous les matins de plus en plus longuement. Un jour, il s’enhardit et me dit avec un très fort accent anglais :

C’est très beau…

Je le remercie et en profite pour lui demander son nom.

Appelez-moi, James…

J’apprends dans les jours suivants qu’il a fait carrière comme architecte naval en Europe et que maintenant à la retraite il a trouvé femme et patrie à Québec. J’en ai fait mon conseiller lorsqu’un problème de proportions m’interpellait.

Un couple charmant, Suzanne et Pierre, sont parmi les plus intéressés à échanger quelques mots au passage. Un jour, ils arrivent sombres et silencieux. Je sens la mauvaise nouvelle. À mon regard interrogateur, Suzanne, les larmes aux yeux, me dit qu’ils reviennent de chez le médecin. Pierre a reçu un inquiétant diagnostic. Je pose mon pinceau et les embrasse avec compassion. Quelques mois plus tard, Pierre nous quittait définitivement… Suzanne demeure une amie.

Suzanne a une petite-fille, Béatrice, âgée de trois ans qui court voir la murale chaque fois qu’elle vient visiter sa grand-mère. La petite me demande un jour si je vais y dessiner une tortue. Un temps de réflexion… et je lui dis que la tortue est là et joue à la cachette dans le parc. Comme je suis moi-même grand-mère je sais qu’on doit trouver une réponse satisfaisante à l’imagination des enfants.

On compte en nos murs les Joly-de-Lotbinière. Monsieur est descendant du seigneur du même nom. Il a fait carrière dans la diplomatie. Madame vient d’une famille d’artistes. Ils sont tous deux très élégants de physique et de langage. Leur conversation fort enrichissante me révèle chaque fois un peu plus la richesse de leur culture dans le domaine artistique.

Vers la fin de mon travail, une dame s’insurge sur la pertinence de la fleur de lys au fronton d’une des maisons.

J’espère que vous allez faire aussi un drapeau canadien quelque part…

Elle cherche une approbation auprès d’un autre résident présent. La politique est un sujet délicat au Québec et il répond habilement :

C’est une œuvre d’art, madame, ce n’est pas une œuvre politique.

Avec cette prudente réponse il me dispense de l’obligation de donner à cette dame un cours d’histoire sur nos ascendances françaises.

Je m’en voudrais de ne pas parler de Roger D. que j’appelle mon chevalier servant parce qu’il m’aidait souvent à sortir ou à ranger le matériel. Avant sa retraite il était lettreur dans une grande entreprise d’enseignes. J’avais donc le spécialiste idéal pour inscrire dans les normes les mots RESTAURANT, AUBERGE, GALERIE d’ART et ARRÊT que l’on trouve sur la murale. Depuis il demeure pour nous un homme empressé à nous rendre service au besoin.

Le travail terminé, le Conseil d’administration de l’immeuble invita tous les copropriétaires à un vernissage qui se tint devant la murale. La fierté et le contentement étaient manifestes chez ces gens qui s’étaient approprié l’œuvre au fil de son évolution. Il m’arrive encore de voir des résidents amener des amis visiter LEUR murale.

lundi 20 octobre 2008

La plus belle des musiques

Les spectacles du 400ème anniversaire de la ville de Québec se sont tus.

Finie la musique forte en décibels venant de la grande scène installée près de chez nous. De même, les concerts d’été du kiosque Edwin Bélanger ont joué leurs dernières notes.

Retrouver le silence pastoral des Plaines, quel bonheur!

Restent les graves dialogues des corneilles et les trilles aigues des roselins qui enchantent nos petits matins.

Il n’est plus belle musique.


29 août 2008

Le modèle masculin

Peut-on dire que les modèles féminins sont plus intéressants à dessiner que les modèles masculins ? Pas vraiment. Si les premiers expriment grâce et élégance, les seconds dégagent force et puissance. En général, mes étudiants prenaient conscience de la différence et tentaient d’exprimer les caractères de chacun.

Un jour, à mon grand étonnement, une de mes élèves refuse nettement de dessiner le modèle masculin. Par la suite, je constate que lorsqu’un homme pose elle invoque une raison pour s’éclipser, tantôt un mal de tête ou une obligation quelconque. Bref, elle a toujours un alibi pour ne pas dessiner ce jour-là. Dommage, car elle est une de mes étudiantes les plus douées. Son trait de crayon à la Matisse dessine rapidement courbes et formes avec justesse et sensibilité.

Le lendemain d’un cours où ma douée avait encore une fois invoqué un malaise pour ne pas dessiner le mâle, je rencontre par hasard sa mère et je m’informe de la santé de sa fille.

Votre grande va-t-elle mieux ce matin ?

Elle va très bien. Pourquoi ?

En toute simplicité, je lui raconte que sa fille s’absente souvent et que curieusement, c’est toujours lors des cours avec modèle masculin. Silence de la mère dont le visage se rembrunit. Les yeux dans l’eau, elle ose m’en donner l’explication :

Ma fille a été violée à l’âge de quinze ans. Dessiner un homme nu est probablement trop difficile pour elle. Vous comprenez ?

Bien sûr que j’ai compris.

Quelques années plus tard, je croise la jeune fille dans la rue en compagnie d’un bel homme. Radieuse, elle me présente son mari et ajoute d’un air entendu :

C’est un modèle d’homme…

dimanche 19 octobre 2008

Souvenirs de Grèce

De notre voyage en Grèce en 1978 émergent pour moi deux points mémorables : l’humour de notre beau-frère Gaston et la rencontre d’Anna à Athènes.

Bien sûr que les monuments antiques, témoins de civilisations millénaires, ne laissent pas indifférent, que les dieux et les mythes demeurent omniprésents, que le ciel d’azur ressemble à nul autre. Mais voir cela avec Gaston ajouta une couleur particulière.

Je le connaissais de compagnie amusante, mais jamais à ce point. Il nous surprenait par ses expressions archaïques et spirituelles.

Par exemple au Musée archéologique d’Athènes, Gaston qui nous devançait d’une salle, revient pour nous annoncer que dans la pièce suivante on verrait de maudits beaux cruchons… En effet, de superbes amphores nous attendaient… De même à notre descente du bateau à Santorin il nous prévient qu’on devra prendre un taxi à poil… En effet ânes et muletiers nous attendaient pour accéder au sommet de l’île. Généreux dans la démesure, il disait à Andrée, sa femme, quand elle semblait attirée par quelque chose : achètes-en pour trois mille piastres !

Autre originalité de sa part. Il ne suivait pas les guides. Son tempérament empirique l’amenait à faire seul ses propres découvertes. C’est ainsi qu’à Delphes il avait conclu avec justesse que les ruines de trois villes se superposaient. À croire qu’il avait consulté l’Oracle! Il basait sa conclusion sur ses propres observations de la colline montrant différents matériaux superposés (torchis, pierre et brique) alors que nous avions eu besoin du guide pour l’apprendre.

La rencontre d’Anna fut d’un autre ordre.

Benjamin, un ami américain, sachant que nous allions à Athènes, m’avait donné le numéro de téléphone d’Anna en me priant de la saluer de sa part. Vous devriez bien vous entendre, m’avait-il dit. Anna était agent de bord pour la compagnie Olympic Airways.

Pour ne pas l’obliger, j’ai attendu à dix-neuf heures la veille de notre retour avant de l’appeler. J’ai à peine le temps de lui transmettre les salutations de Benjamin qu’elle insiste pour connaître le nom de notre hôtel.

Ne bougez pas, j’arrive.

Si tôt dit si tôt fait Anna nous arrive et nous invite sans façon chez elle pour prendre l’apéro. Nous ne pouvons refuser une si chaleureuse invitation.

Anna habite un appartement au cœur d’Athènes. L’appartement est luxueux et rempli d’œuvres d’art.
À l’évidence nous sommes chez des gens nantis et d’un statut social élevé.

Mon mari devrait rentrer bientôt, mais venez que je vous présente ma mère, mon fils et ma fille.

Sa maman est âgée de quatre-vingt-huit ans et vit avec eux.

Mon attention est attirée par un lit d’hôpital dans le salon. Un vieillard y repose.

C’est le père de mon mari. Il est plus ou mois conscient. Nous le déplaçons le jour de sa chambre vers le salon car il aime être présent à nos activités. Ici, ce n’est pas comme en Amérique, nous gardons nos vieux parents avec nous.

Cela dit tout simplement sans faire de morale. J’ai eu un pincement au cœur en pensant à mon papa hospitalisé à Métabetchouan loin des siens.

Je m’assoie en face de la maman. Elle me demande en grec comment va son autre fille Maria qui vit à New York et qu’elle n’a pas vue depuis cinq ans. Anna me traduit et me confie que sa mère croit que je connais Maria. Faites comme si, me demande-t-elle.

Elle va très bien, dis-je.

La vieille dame répète inlassablement Maria, Maria… comme autant d’aves venant du cœur.

Je sens son chagrin, je lui prends les mains, je tente par le sourire de la rassurer sur sa Maria… que je ne connais pas.

La porte s’ouvre. Entre un monsieur élégant. C’est l’époux d’Anna. Nous apprenons au cour de la rencontre qu’il est magistrat à Athènes et ami de Mélina Mercouri. L’apéritif pris, nos hôtes nous amènent dîner sur une terrasse au pied de l’Acropole en laissant la garde de leurs vieux parents à leurs deux adolescents.

La soirée est joyeuse et animée tant par le plaisir d’être ensemble que par le ouzo généreux. Les bouzoukis nous enchantent de leurs mélodies si typiques. Ce dernier repas en Grèce fut certainement le plus imprévu de notre voyage.

jeudi 16 octobre 2008

Les ormes et la famille

La marche matinale sur les Plaines d’Abraham est devenue pour moi une sorte de rituel à la fois physique et affectif. Cela me permet d’entretenir la forme et le souvenir.

Cet ensemble paysager bucolique où l’orme règne en nombre et en majesté a tôt fait d’évoquer ma famille, les Tremblay de Kouchepagane, pour qui l’orme est un symbole d’appartenance.

En effet, lorsqu’en 1926 la compagnie Duke Price harnacha la rivière Saguenay pour fin d’électricité, le lac Saint-Jean fut haussé et inonda une importante forêt d’ormes centenaires sur la terre familiale.

Cet événement tragique, suivi de procès retentissants, a élevé pour nous l’orme au rang d’objet-culte.

J’ai grandi à l’ombre de ces arbres. Il y en avait quantité autour de la maison. Plus tard, à ses huit filles, mon père offrait en cadeau de mariage des ormes qu’il plantait lui-même dans une sorte de cérémonial.

Lorsqu’il y a dix ans nous sommes venus vivre à Québec, je fus ravie de voir autant d’ormes sur les Plaines. Loin de me sentir coupée de mes racines, je me sentais en milieu familier.

Un matin où je marchais allègrement un grand orme dont une des branches majeures était soutenue par un tuteur me rappela mon grand-père, cet homme altier qui marchait avec une canne. À côté de lui, deux ormes solides et rapprochés pouvaient tout naturellement s’appeler Raoul et Eugénie, mes parents. À quelques mètres, un groupe de quatre me rappela la complicité de mon frère aîné Charles-Eugène avec ses sœurs Marguerite, Cécile et Claire. L’imagination trottant, j’ai déniché Germaine en retrait protégeant la petite Marie discrète et solitaire.

Ils sont tous là, nommés et identifiés, ces membres de ma famille déjà rendus au Paradis.

Chaque matin, je les salue au passage sans perdre la cadence avec tendresse.

La mule noire

Il y a quarante ans de cela, nous visitions Françoise et André alors en Provence pour fin d’études doctorales. Quel accueil notre sœur et beau-frère nous ont fait! Eux qui vivaient depuis quelque temps au pays de Pagnol et de Daudet nous l’ont fait visiter et savourer.

Ce fut aussi plaisir et émerveillement de connaître leurs adorables fillettes, Suzanne et Marie-Claude, qui parlaient français avec l’accent du sud et une justesse de vocabulaire admirable. Je ne peux résister à l’envie de raconter une anecdote savoureuse.

Un soir, alors que j’étendais une petite lessive, Suzanne pointe du doigt un slip de Claude et me demande dans son bel accent chantant:

À qui sont ces petites culottes tante Yvonne?

— À Claude.

— Oncle Claude?... Comme il a de petites fesses oncle Claude! Tu devrais voir les fesses de mon papa. Lui il a de grandes fesses.


Je ne suis pas allée vérifier…

Nous avions convenu qu’après un séjour d’une semaine chez eux à Palavas, nous les amènerions faire une tournée à Aix, Arles, Aigues-Mortes, Avignon.

Le premier soir à Aix, Françoise qui était habituée à gérer un budget modeste d’étudiant et qui ne voulait pas grever le nôtre avait déjà réservé une chambre à prix raisonnable à l’hôtel LA MULE NOIRE. Minimal en effet fut le prix et minimal aussi le confort : une chambre exiguë pour quatre, deux lits étroits aux matelas antiques, toilettes turques et lavabo à l’extérieur. Seul luxe, un paravent défraichi pour une certaine intimité. Bref nous y avons quand même dormi et nos rires valurent bien cinq étoiles.

Pour les étapes suivantes c’est nous qui choisissions les gîtes.

Cocasserie de la mémoire, nous avons oublié les noms de ces gîtes plus confortables mais jamais oublié celui de LA MULE NOIRE.

mercredi 15 octobre 2008

La belle et la bête

Le programme en art que je donnais aux adultes au Cégep de Jonquière contenait des cours de dessin avec modèles vivants.

Un jour, mon modèle féminin, une jeune femme d’une grande beauté, me demande si son copain peut entrer dans la salle de cours.

C’est lui qui me transporte, dit-elle. Il va se faire discret.

N’y voyant pas d’objection, j’accepte.

C’est pour moi un choc lorsque je le vois entrer. Son compagnon est un homme laid, atypique et difforme.

J’essaie de contrôler les signes de mon étonnement et je l’invite à s’asseoir en arrière de la salle. Je le vois qui se plonge dans la lecture d’un bouquin, indifférent semble-t-il au fait que sa belle prenne la pose sur le podium.

J’ai beau suivre l’avancement des croquis de mes élèves, mon esprit demeure hanté par le paradoxe de ce couple. Pour moi, c’est la belle et la bête.

L’heure de la pause venue, je rejoins mon modèle revêtue qui cause avec son compagnon. Je découvre les yeux de cet homme. Le regard admiratif qu’il pose sur sa belle et les propos intelligents qu’il tient sur le livre qu’il a en mains me font oublier sa laideur. Je découvre alors sa beauté intérieure.

Cet homme intéressant et tendre avait une belle âme. La Belle qui le voyait avec les yeux du cœur le savait déjà.

L'automne

Certains préfèrent l’hiver pour le ski, la motoneige, les promenades romantiques sur la neige aux blancs subtilement variées. D’autres privilégient le printemps pour la vie renaissante avec sa gamme de verts tendres. Enfin, pour plusieurs, c’est l’été, la chaleur, les portes et les fenêtres ouvertes, les fleurs, les fruits et les vacances.

Moi, c’est l’automne que je préfère.

C’est la saison de la rentrée, du retour à la stabilité où la créativité reprend vie autour de soi.

Et puis, il y a les couleurs...!

Ce matin les Plaines d’Abraham m’en ont donné une belle démonstration. Le soleil chatoyant d’octobre allongeait les ombres des ormes sur le gazon émeraude, alors que les érables ici et là flamboyaient de couleurs chaudes. On aurait dit que la nature, tel un peintre généreux, vidait ses tubes de rouge, d’orangé et d’ocre dans un geste ultime pour créer un chef d’œuvre somptueux.

Voilà pourquoi j’aime l’automne.