jeudi 30 octobre 2008

Utilité de l'art

L’art est-il utile? Sempiternelle question que se pose souvent le public et parfois les artistes eux-mêmes. Quelques anecdotes puisées au cours des ans m’ont pour ma part rassurée sur le rôle éminemment utile qu’il joue dans la société.

Je me souviens avoir lu que la sœur du célèbre peintre chinois Zao Wou-ki lui reprocha un jour de ne pas exercer un métier utile au peuple. Elle militait dans le parti communiste au temps de Mao et estimait que la peinture qui n’enseigne rien au peuple est inutile. Le peintre lui raconta alors une vieille légende chinoise :

Un prisonnier est seul et ligoté. Il est désespéré et ne voit pas comment il pourra retrouver la liberté. Avec son pied il réussit à tracer sur le sol l’ébauche d’une souris puis s’endort. Au cours de son sommeil il rêve. Le petit rongeur prend vie et vient de ses dents acérées couper ses liens.


L’art libère.

En voici une autre. Quelqu’un demande un jour à un mendiant de Rome s’il est scandalisé de voir tant de dômes dorés dans la ville.

— Non, dit-il, cela me fait battre le cœur quand je les regarde.

L’art réjouit.

Autre anecdote, personnelle cette fois. Une dame de Jonquière m’appelle un jour pour me remercier de l’avoir sauvée.

— En quoi? demandai-je intriguée.

Vous vous souvenez que j’ai acquis il y a trois ans votre tableau « JEANNE » qui représente une femme assise à une fenêtre? Ce tableau m’a sauvé la vie. Il m’a aidée à sortir d’une profonde dépression qui me tenait recluse. Dès que j’étais assaillie d’idées noires, j’allais m’asseoir en face de cette femme. Sa sérénité m’apaisait. Grâce à elle je suis maintenant guérie et j’ouvre ma fenêtre à la vie. Je voulais vous dire merci.

L’art guérit.

Ici à Québec, ceux qu’on nomme les jeunes de la rue ont découvert qu’ils pouvaient faire des murales remarquablement belles sur les murs de la ville. En ce faisant, ils ont trouvé un sens à leur vie et gagné l’estime de leurs concitoyens.

L’art réhabilite.

L’art serait donc utile?

mercredi 29 octobre 2008

Beau gars

Je n’ai jamais eu de difficulté à trouver des modèles féminins pour poser dans mon atelier. Plus difficile ce fut du côté masculin.

Un jour, alors que je devais représenter un homme dans un tableau, j’ai demandé à un collègue s’il accepterait de poser pour mon projet. Surpris et flatté il accepte illico à mon grand contentement.

Le lendemain matin à la première heure, il m’appelle pour me dire qu’il se désistait. Pourquoi? Il avait informé sa femme et ses filles de la chose et cela avait déclenché de leur part hilarité et moquerie comme : Te prends-tu pour un Adonis? Il n’en avait pas dormi de la nuit.

Me voilà donc de nouveau à la recherche d’un autre modèle.

Mon fils François en vacances à la maison, témoin de ma déception, ose d’un air coquin :

Pourquoi chercher ailleurs alors que tu as un beau gars devant toi?

Pourquoi pas en effet? Jamais je n’avais pensé demander à un de mes fils de poser nu devant moi. J’avais pourtant sous les yeux le bel adonis que je cherchais pour mon tableau.

mardi 28 octobre 2008

Benjamin

À l’automne 1978, la directrice du Centre culturel de Jonquière, Madame Gaudreault, organise une visite à Washington où se tient une importante exposition des Impressionnistes à la National Gallery of Art. Je m’y inscris avec trois de mes amies Céline, Diane et Micheline.

Durant le voyage nous étions inséparables et c’est ensemble que nous avons découvert les monuments de Washington, ses musées, ses galeries et une boîte de jazz du quartier Georgetown dont je garde le souvenir de nos rires partagés. Ce fut une excellente immersion culturelle.

Le chemin du retour me réservait une rencontre bien spéciale.

Cela se passe à l’hôtel Sheraton de Bordentown dans le New Jersey où nous faisons escale pour la nuit. Céline et moi, ayant fini notre toilette avant les deux autres copines, nous descendons au bar pour un apéro. Nous prenons place au comptoir. Je remarque en face de nous un bel homme noir dans la cinquantaine qui semble amusé de nous voir jaser comme des pies dans une langue qu’il ne connaît manifestement pas.

L’heure du repas venu nous allons chercher nos amies à leur chambre. Nous devons repasser par le bar pour accéder à la salle à manger. Le beau noir est toujours là. Il exhibe au bout de son bras des lunettes. Je réalise que ce sont les miennes que j’ai oubliées sur le comptoir.

Oh, my eyes…! Merci!

À la fin du repas, le sauveur de mes yeux vient nous saluer à notre table. Je lui présente mes copines et lui offre une chaise près de Diane et Micheline parce que celles-ci sont célibataires et parlent parfaitement anglais. Je suis impressionnée de les voir échanger avec tant de facilité dans la langue de Shakespeare.

Grâce à leur traduction j’apprends qu’il s’appelle Benjamin, qu’il est psychologue et qu’il habite Bordentown, la ville où nous nous trouvons.

L’orchestre joue. Plusieurs couples sont déjà sur la piste. Benjamin se lève. Je pense qu’il veut prendre congé. Non. Il fait le tour de la table et m’invite à danser… Je constate avec quelle facilité il prend le rythme et dirige sa partenaire. Magie de la danse, ce langage universel qui supplée à nos carences linguistiques réciproques! Au moment de quitter, il me tend un papier et un stylo :

Your phone number, please.

Le lendemain je suis de retour chez nous. À ma grande surprise, je reçois un coup de fil. Comprenant peu l’anglais et ne le parlant pas d’avantage, je tente un compliment sur la qualité de sa voix pour rompre mon silence :

Your voice is hot.

Éclats de rire au bout du fil !

Is it not good ?

No. You have to say pleasant.

Nouveaux éclats de rire…

Est-ce l’exotisme, la curiosité, l’attrait ou… les trois ensemble qui amèneront d’autres appels téléphoniques? Ils deviendront assidus et forgeront entre nous une amitié qui durera près de trente ans. Débutée comme un flirt banal, notre relation évoluera et s’enrichira au fil du temps grâce à la connaissance de nos familles respectives.

Benjamin était un homme imposant de taille. Il possédait un charisme tel qu’il comprenait les êtres malgré ses lacunes linguistiques. Il avait un exceptionnel sens d’observation et une remarquable capacité d’écoute. Il était un être attachant. Son amitié m’était précieuse. J’ai eu souvent recours à ses conseils car je le savais capable de grande objectivité.

Le 1er décembre 2005 un message de sa fille Barbara m’apprenait que son père venait de mourir d’une crise cardiaque.

Claude, qui comprenait depuis toujours cette amitié exceptionnelle, m’a prise doucement dans ses bras pour partager ma peine.

Celui qu’avec le temps j’ai fini par appeler le sphinx et qui savait si bien écouter… n’appellera plus.


Québec, 28 juin 2008

lundi 27 octobre 2008

Strip tease


L’abbé Roland Larouche, curé de notre paroisse Saint-Raphaël de Jonquière, me demande de dire un mot lors de la visite pastorale de l’évêque. J’ai oublié à quel propos, mais je me souviens très bien de la timidité que je ressentais.


Au jour dit, Monseigneur Marius Paré, homme grand, filiforme et d’allure ascétique comme une icône byzantine, fait son entrée dans le chœur vêtu du costume d’apparat attribué aux princes de l’Église.


Impressionnée, je me sens bien petite. Plus mon temps de prendre la parole approche, plus mon angoisse augmente.


Je me suis rappelé un truc, lu je ne sais où, que pour démystifier un grand personnage on devait mentalement le mettre à nu. Forte de ce conseil judicieux, je me mets à l’imaginer sans ses parures, lui enlevant progressivement (Dieu me pardonne!) la crosse, la mitre, la chape, la chasuble, l’étole, le surplis, la soutane… ne lui laissant que son caleçon… Décence tout de même!


Magique. Ce strip-tease irrévérencieux aura eu le don de me le rendre humain et j’ai prononcé mon discours sans bafouiller.

Jour de l'an mémorable

Cette année-là (1970?) le jour de l’an à Kouchepagane a duré trois jours.

Une tempête de neige abondante accompagnée de vents violents durant toute la journée avait fini par bloquer les chemins et confiner les soixante-et-seize membres de la famille réunis pour la fête. Le soir venu il était impossible à quiconque de quitter la maison paternelle avant l’ouverture de la route du rang complètement recouverte de neige à hauteur de clôtures.

Selon la tradition, la réunion commençait le matin par une messe célébrée par oncle Victor dans la chapelle familiale. Toute la tribu, (comme aimait dire mon père) se rassemblait ensuite dans la grande salle pour recevoir la bénédiction paternelle et échanger les vœux de bonne année. Après quoi, on festoyait, chantait, racontait des histoires, jouait à des jeux de société. En fin de journée, chaque famille rentrait chez elle.

Cette fois la tempête est venue changer la donne.

Notre hôtesse et belle-sœur Thérèse avait comme d’habitude préparé un fabuleux festin pour une journée… mais nullement pour trois jours et pour autant de personnes. Elle m’avouera plus tard avoir passé la nuit blanche à faire mentalement l’inventaire de ses réserves et à penser aux menus du lendemain. Heureusement son garde-manger abondait de pâtés, poulets, cretons, beignes et pâtisseries.

Autre problème, comment loger tout ce monde? Les dix chambres de la maison ne peuvent coucher soixante-et-seize personnes en même temps. On suggère un système de rotation pour la nuit. Joueurs de cartes et dormeurs se relayent. Un lit se vide, d’autres personnes s’y glissent. Jeunes cousins et cousines transforment les planchers du salon et de la salle à manger en dortoirs. On bavarde plus que l’on dort…

Pour ma part je me souviens avoir dormi sur le tapis d’une chambre où étaient couchés dans le lit ma sœur Gillot avec son mari Jean et leur petit dernier Jean-Pascal.

Je me souviens aussi d’une situation cocasse : notre très orthodoxe oncle Victor tout habillé, col romain, soutane boutonnée et ceinturée de rouge, allongé sur le même lit que mon père et son épouse, tels des gisants d’un autre âge.

Dès l’aube du lendemain la maison bourdonne comme une ruche. Chacun veut faire sa part. Thérèse distribue les tâches. Le tout dans la bonne humeur. On ne manque de rien sauf de pain et…de cigarettes pour les fumeurs impénitents. Des volontaires, tels de hardis esquimaux, s’offrent à braver la tempête et à aller chercher en motoneige au village ces denrées fondamentales.

En fin de journée, la tempête se calme. Le ciel se dégage de ses nuages. Nous décidons, ma sœur Madeleine et moi, de sortir pour marcher sur la croûte de neige durcie tel que nous le faisions dans notre enfance. Moments privilégiés. Les dunes de neige sculptées par le vent s’étendent à perte de vue. Jeu d’ombre et de lumière sur un paysage surréaliste et éphémère. Tendresse partagée de deux sœurs.

Au matin du troisième jour le son des déneigeuses se fait entendre. Dans quelques heures la route s’ouvrira à la circulation. Autour de la maison on s’affaire à dégager les voitures ensevelies sous la neige afin de permettre à chacun de rentrer chez soi.

Cette année-là le premier de l’an aura duré plus longtemps que d’habitude. Il aura permis à tous d’échanger des confidences et de mieux se connaître. Il reste un des plus beaux souvenirs de la famille.

samedi 25 octobre 2008

Beauté

On m’a souvent demandé pourquoi je ne peignais que des enfants et de belles jeunes femmes. Ou encore, pourquoi jamais la laideur?

De façon spontanée je réponds que c’est la beauté qui est pour moi sujet d’émerveillement et qui m’inspire. Pour moi rien n’est plus gracieux que le corps humain au printemps de sa maturité. Cela n’exclut pas mon admiration pour la beauté sereine d’une vieille femme aux rides marquant l’histoire de sa vie, mais l’opportunité d’en avoir une comme modèle ne s’est pas présentée.

Quand je regarde mon cheminement artistique je constate que j’ai choisi mes modèles de façons diverses.

Par exemple Nadine qui posa pour moi pendant trois ans s’était offerte spontanément lors d’une rencontre dans la boutique où elle travaillait.

Dans le cas de Christine, c’est moi qui l’ai abordée lors d’une soirée sociale. J’avais été séduite et inspirée par sa longue chevelure noire et bouclée.

Pour illustrer La promise du lac c’est l’éditeur qui m’avait proposé Sonia. Dès notre première rencontre la chimie s’est installée entre nous deux. Quinze tableaux résultèrent de notre collaboration.

Dans d’autres cas c’est le sujet des tableaux qui m’a guidé. Ainsi, lorsque j’ai abordé le thème de la musique, je me suis rendue au Conservatoire de Chicoutimi pour y rencontrer le directeur et lui exposer mon projet. Celui-ci me donna carte blanche pour observer et choisir les différentes instrumentistes qui m’intéressaient.

Enfin il est arrivé que des amis et parents (dont quelques hommes) acceptent volontiers de poser dans mon atelier.

Poser est un art exigeant qui demande discipline, naturel et disponibilité. Il nécessite une confiance réciproque entre le modèle et le peintre. Le modèle, loin d'être une potiche inerte, se doit d’être vivant et expressif jusqu’au bout des pieds. J’ai toujours eu une excellente collaboration de tous mes modèles. Certaines m’ont avoué que ce fut une des plus belles expériences de leur vie.

Au sujet de la laideur, certains expressionnistes comme Schiele et Goya ont su rendre des sujets morbides avec succès. Moi je m’en sens incapable.

jeudi 23 octobre 2008

Ice pack

Notre petite-fille Ariane est douée pour faire des esclandres théâtraux. Un jour elle nous en a servi tout un qui relevait du pur vaudeville.

Elle est venue consulter un dermatologue à Québec. Celui-ci lui prescrit un sérum qu’elle doit tenir au froid. Comme elle ne rentre pas à Chicoutimi avant quelques heures, il lui demande où elle loge.

Chez mes grands-parents.

Il vous faudrait placer le médicament sous un ice pack. Je vous suggère de vous en acheter un, car vos grands-parents ne doivent pas avoir d’ice pack.

Comment ça, ils n’ont pas d’Ice pack? Si vous connaissiez mes grands-parents vous ne diriez pas ça. Mon grand-père est même meilleur en informatique que mon père. Ils ne sont pas facile à suivre vous savez… Ils voyagent, suivent des cours à l’université, dansent le tango… Ils en ont sûrement des ice packs.

Et notre Ariane de poursuivre sa tirade manifestant son indignation de constater qu’on jugeait à priori ses grands-parents sans les connaître…

Non mais dire qu’ils n’ont pas d’ice pack mes grands-parents! Franchement…!

Le pantacourt

Dans les années soixante j’ai appris qu’en voyage on ne doit pas choquer les gens par sa tenue vestimentaire.

À cette époque-là, c’était la mode au Québec du pantacourt. C’était un short que l’on disait habillé (moins que plus) et que l’on mettait le soir.

Le mien était en fin jersey noir. Je le portais sur un collant transparent avec des talons hauts. Je complétais ma toilette d’une tunique de soie cintrée à manches longues et col girafe. C’était ici très mode.

En toute innocence j’avais placé ce pantacourt dans ma valise pour notre voyage en France. Le lendemain de notre arrivée à Paris, je le porte pour une soirée au théâtre Le Châtelet.

Ce fut à l’entracte, lorsque Claude et moi sommes entrés au foyer du théâtre, que j’ai vu par des regards de travers que ma tenue était inappropriée. Deux dames vêtues de robes longues mesuraient des yeux la hauteur de mes jambes. L’une d’elles, pourtant décolletée jusqu’au nombril, dit à l’autre d’un air snob et assez fort pour que je l’entende :

On se croirait à Pigalle!

Mon pantacourt est resté dans ma valise tout le reste du voyage.

mercredi 22 octobre 2008

La murale du Krieghoff

Hiver 2003. Cela fait maintenant cinq ans que nous habitons l’immeuble Krieghoff à Québec. Chaque fois que je vais dans le garage, à la sortie de l’ascenseur, je fais face à un mur de béton des plus insignifiants. L’idée d’y peindre une murale devient de plus en plus impérative en moi, d’autant plus que ce mur jouxte notre espace de stationnement.

Je me mets donc au dessin dans le secret de mon atelier et laisse aller mon imagination afin de mettre un peu de vie en cet espace gris. Les croquis terminés, je soumets mon projet au conseil d’administration de l’immeuble qui accepte ce legs avec enthousiasme.

Le sujet? Un hymne à la beauté patrimoniale de la ville de Québec et un clin d’œil affectueux à nos six petits-enfants. On y voit une rue en perspective bordée de maisons évoquant des caractéristiques de l’architecture de Québec. À gauche, ce sont des résidences, à droite des commerces : restaurant, auberge et galerie d’art. Dans la vitrine de cette dernière je me suis permis d’y placer certaines œuvres que j’aime.
Au premier plan un chat traverse la rue pavée de pierres sous l’œil amusé de Laurent penché au bord d’une fenêtre qui l’observe. Les trois grandes, Ariane, Léa et Fanny s’en vont vers le parc qu’on aperçoit au fond tandis que les deux jeunes, Cloé et Évelyne, en reviennent.

Me voici donc à l’œuvre : d’abord il me faut carreler et tirer des lignes au fusain pour transposer sur la surface de béton de onze par neuf pieds le dessin conçu sur papier, puis par la suite je dois peindre le tout avec des couleurs. Cette réalisation aura pris deux mois et demi de travail.

Dès le début de mon travail, notre gérant, monsieur Soucy, m’a offert des escabeaux, une table pliante pour déposer mon matériel, un projecteur et un lieu de rangement pour y déposer le tout en sécurité à la fin de la journée.

Loin d’être lourd ce projet m’a apporté beaucoup de plaisirs grâce particulièrement aux nombreux contacts avec les résidents de notre immeuble qui y allaient de leurs commentaires. Je n’aurais jamais pu rêver meilleure façon de connaître tous ces gens.

Les réactions se manifestent différemment selon les tempéraments. Les timides esquissent tout simplement un sourire au passage. Les curieux s’arrêtent et observent un moment sans me poser de questions. Les audacieux y vont de leurs observations.

Un monsieur s’arrête en retrait tous les matins de plus en plus longuement. Un jour, il s’enhardit et me dit avec un très fort accent anglais :

C’est très beau…

Je le remercie et en profite pour lui demander son nom.

Appelez-moi, James…

J’apprends dans les jours suivants qu’il a fait carrière comme architecte naval en Europe et que maintenant à la retraite il a trouvé femme et patrie à Québec. J’en ai fait mon conseiller lorsqu’un problème de proportions m’interpellait.

Un couple charmant, Suzanne et Pierre, sont parmi les plus intéressés à échanger quelques mots au passage. Un jour, ils arrivent sombres et silencieux. Je sens la mauvaise nouvelle. À mon regard interrogateur, Suzanne, les larmes aux yeux, me dit qu’ils reviennent de chez le médecin. Pierre a reçu un inquiétant diagnostic. Je pose mon pinceau et les embrasse avec compassion. Quelques mois plus tard, Pierre nous quittait définitivement… Suzanne demeure une amie.

Suzanne a une petite-fille, Béatrice, âgée de trois ans qui court voir la murale chaque fois qu’elle vient visiter sa grand-mère. La petite me demande un jour si je vais y dessiner une tortue. Un temps de réflexion… et je lui dis que la tortue est là et joue à la cachette dans le parc. Comme je suis moi-même grand-mère je sais qu’on doit trouver une réponse satisfaisante à l’imagination des enfants.

On compte en nos murs les Joly-de-Lotbinière. Monsieur est descendant du seigneur du même nom. Il a fait carrière dans la diplomatie. Madame vient d’une famille d’artistes. Ils sont tous deux très élégants de physique et de langage. Leur conversation fort enrichissante me révèle chaque fois un peu plus la richesse de leur culture dans le domaine artistique.

Vers la fin de mon travail, une dame s’insurge sur la pertinence de la fleur de lys au fronton d’une des maisons.

J’espère que vous allez faire aussi un drapeau canadien quelque part…

Elle cherche une approbation auprès d’un autre résident présent. La politique est un sujet délicat au Québec et il répond habilement :

C’est une œuvre d’art, madame, ce n’est pas une œuvre politique.

Avec cette prudente réponse il me dispense de l’obligation de donner à cette dame un cours d’histoire sur nos ascendances françaises.

Je m’en voudrais de ne pas parler de Roger D. que j’appelle mon chevalier servant parce qu’il m’aidait souvent à sortir ou à ranger le matériel. Avant sa retraite il était lettreur dans une grande entreprise d’enseignes. J’avais donc le spécialiste idéal pour inscrire dans les normes les mots RESTAURANT, AUBERGE, GALERIE d’ART et ARRÊT que l’on trouve sur la murale. Depuis il demeure pour nous un homme empressé à nous rendre service au besoin.

Le travail terminé, le Conseil d’administration de l’immeuble invita tous les copropriétaires à un vernissage qui se tint devant la murale. La fierté et le contentement étaient manifestes chez ces gens qui s’étaient approprié l’œuvre au fil de son évolution. Il m’arrive encore de voir des résidents amener des amis visiter LEUR murale.

lundi 20 octobre 2008

La plus belle des musiques

Les spectacles du 400ème anniversaire de la ville de Québec se sont tus.

Finie la musique forte en décibels venant de la grande scène installée près de chez nous. De même, les concerts d’été du kiosque Edwin Bélanger ont joué leurs dernières notes.

Retrouver le silence pastoral des Plaines, quel bonheur!

Restent les graves dialogues des corneilles et les trilles aigues des roselins qui enchantent nos petits matins.

Il n’est plus belle musique.


29 août 2008

Le modèle masculin

Peut-on dire que les modèles féminins sont plus intéressants à dessiner que les modèles masculins ? Pas vraiment. Si les premiers expriment grâce et élégance, les seconds dégagent force et puissance. En général, mes étudiants prenaient conscience de la différence et tentaient d’exprimer les caractères de chacun.

Un jour, à mon grand étonnement, une de mes élèves refuse nettement de dessiner le modèle masculin. Par la suite, je constate que lorsqu’un homme pose elle invoque une raison pour s’éclipser, tantôt un mal de tête ou une obligation quelconque. Bref, elle a toujours un alibi pour ne pas dessiner ce jour-là. Dommage, car elle est une de mes étudiantes les plus douées. Son trait de crayon à la Matisse dessine rapidement courbes et formes avec justesse et sensibilité.

Le lendemain d’un cours où ma douée avait encore une fois invoqué un malaise pour ne pas dessiner le mâle, je rencontre par hasard sa mère et je m’informe de la santé de sa fille.

Votre grande va-t-elle mieux ce matin ?

Elle va très bien. Pourquoi ?

En toute simplicité, je lui raconte que sa fille s’absente souvent et que curieusement, c’est toujours lors des cours avec modèle masculin. Silence de la mère dont le visage se rembrunit. Les yeux dans l’eau, elle ose m’en donner l’explication :

Ma fille a été violée à l’âge de quinze ans. Dessiner un homme nu est probablement trop difficile pour elle. Vous comprenez ?

Bien sûr que j’ai compris.

Quelques années plus tard, je croise la jeune fille dans la rue en compagnie d’un bel homme. Radieuse, elle me présente son mari et ajoute d’un air entendu :

C’est un modèle d’homme…

dimanche 19 octobre 2008

Souvenirs de Grèce

De notre voyage en Grèce en 1978 émergent pour moi deux points mémorables : l’humour de notre beau-frère Gaston et la rencontre d’Anna à Athènes.

Bien sûr que les monuments antiques, témoins de civilisations millénaires, ne laissent pas indifférent, que les dieux et les mythes demeurent omniprésents, que le ciel d’azur ressemble à nul autre. Mais voir cela avec Gaston ajouta une couleur particulière.

Je le connaissais de compagnie amusante, mais jamais à ce point. Il nous surprenait par ses expressions archaïques et spirituelles.

Par exemple au Musée archéologique d’Athènes, Gaston qui nous devançait d’une salle, revient pour nous annoncer que dans la pièce suivante on verrait de maudits beaux cruchons… En effet, de superbes amphores nous attendaient… De même à notre descente du bateau à Santorin il nous prévient qu’on devra prendre un taxi à poil… En effet ânes et muletiers nous attendaient pour accéder au sommet de l’île. Généreux dans la démesure, il disait à Andrée, sa femme, quand elle semblait attirée par quelque chose : achètes-en pour trois mille piastres !

Autre originalité de sa part. Il ne suivait pas les guides. Son tempérament empirique l’amenait à faire seul ses propres découvertes. C’est ainsi qu’à Delphes il avait conclu avec justesse que les ruines de trois villes se superposaient. À croire qu’il avait consulté l’Oracle! Il basait sa conclusion sur ses propres observations de la colline montrant différents matériaux superposés (torchis, pierre et brique) alors que nous avions eu besoin du guide pour l’apprendre.

La rencontre d’Anna fut d’un autre ordre.

Benjamin, un ami américain, sachant que nous allions à Athènes, m’avait donné le numéro de téléphone d’Anna en me priant de la saluer de sa part. Vous devriez bien vous entendre, m’avait-il dit. Anna était agent de bord pour la compagnie Olympic Airways.

Pour ne pas l’obliger, j’ai attendu à dix-neuf heures la veille de notre retour avant de l’appeler. J’ai à peine le temps de lui transmettre les salutations de Benjamin qu’elle insiste pour connaître le nom de notre hôtel.

Ne bougez pas, j’arrive.

Si tôt dit si tôt fait Anna nous arrive et nous invite sans façon chez elle pour prendre l’apéro. Nous ne pouvons refuser une si chaleureuse invitation.

Anna habite un appartement au cœur d’Athènes. L’appartement est luxueux et rempli d’œuvres d’art.
À l’évidence nous sommes chez des gens nantis et d’un statut social élevé.

Mon mari devrait rentrer bientôt, mais venez que je vous présente ma mère, mon fils et ma fille.

Sa maman est âgée de quatre-vingt-huit ans et vit avec eux.

Mon attention est attirée par un lit d’hôpital dans le salon. Un vieillard y repose.

C’est le père de mon mari. Il est plus ou mois conscient. Nous le déplaçons le jour de sa chambre vers le salon car il aime être présent à nos activités. Ici, ce n’est pas comme en Amérique, nous gardons nos vieux parents avec nous.

Cela dit tout simplement sans faire de morale. J’ai eu un pincement au cœur en pensant à mon papa hospitalisé à Métabetchouan loin des siens.

Je m’assoie en face de la maman. Elle me demande en grec comment va son autre fille Maria qui vit à New York et qu’elle n’a pas vue depuis cinq ans. Anna me traduit et me confie que sa mère croit que je connais Maria. Faites comme si, me demande-t-elle.

Elle va très bien, dis-je.

La vieille dame répète inlassablement Maria, Maria… comme autant d’aves venant du cœur.

Je sens son chagrin, je lui prends les mains, je tente par le sourire de la rassurer sur sa Maria… que je ne connais pas.

La porte s’ouvre. Entre un monsieur élégant. C’est l’époux d’Anna. Nous apprenons au cour de la rencontre qu’il est magistrat à Athènes et ami de Mélina Mercouri. L’apéritif pris, nos hôtes nous amènent dîner sur une terrasse au pied de l’Acropole en laissant la garde de leurs vieux parents à leurs deux adolescents.

La soirée est joyeuse et animée tant par le plaisir d’être ensemble que par le ouzo généreux. Les bouzoukis nous enchantent de leurs mélodies si typiques. Ce dernier repas en Grèce fut certainement le plus imprévu de notre voyage.

jeudi 16 octobre 2008

Les ormes et la famille

La marche matinale sur les Plaines d’Abraham est devenue pour moi une sorte de rituel à la fois physique et affectif. Cela me permet d’entretenir la forme et le souvenir.

Cet ensemble paysager bucolique où l’orme règne en nombre et en majesté a tôt fait d’évoquer ma famille, les Tremblay de Kouchepagane, pour qui l’orme est un symbole d’appartenance.

En effet, lorsqu’en 1926 la compagnie Duke Price harnacha la rivière Saguenay pour fin d’électricité, le lac Saint-Jean fut haussé et inonda une importante forêt d’ormes centenaires sur la terre familiale.

Cet événement tragique, suivi de procès retentissants, a élevé pour nous l’orme au rang d’objet-culte.

J’ai grandi à l’ombre de ces arbres. Il y en avait quantité autour de la maison. Plus tard, à ses huit filles, mon père offrait en cadeau de mariage des ormes qu’il plantait lui-même dans une sorte de cérémonial.

Lorsqu’il y a dix ans nous sommes venus vivre à Québec, je fus ravie de voir autant d’ormes sur les Plaines. Loin de me sentir coupée de mes racines, je me sentais en milieu familier.

Un matin où je marchais allègrement un grand orme dont une des branches majeures était soutenue par un tuteur me rappela mon grand-père, cet homme altier qui marchait avec une canne. À côté de lui, deux ormes solides et rapprochés pouvaient tout naturellement s’appeler Raoul et Eugénie, mes parents. À quelques mètres, un groupe de quatre me rappela la complicité de mon frère aîné Charles-Eugène avec ses sœurs Marguerite, Cécile et Claire. L’imagination trottant, j’ai déniché Germaine en retrait protégeant la petite Marie discrète et solitaire.

Ils sont tous là, nommés et identifiés, ces membres de ma famille déjà rendus au Paradis.

Chaque matin, je les salue au passage sans perdre la cadence avec tendresse.

La mule noire

Il y a quarante ans de cela, nous visitions Françoise et André alors en Provence pour fin d’études doctorales. Quel accueil notre sœur et beau-frère nous ont fait! Eux qui vivaient depuis quelque temps au pays de Pagnol et de Daudet nous l’ont fait visiter et savourer.

Ce fut aussi plaisir et émerveillement de connaître leurs adorables fillettes, Suzanne et Marie-Claude, qui parlaient français avec l’accent du sud et une justesse de vocabulaire admirable. Je ne peux résister à l’envie de raconter une anecdote savoureuse.

Un soir, alors que j’étendais une petite lessive, Suzanne pointe du doigt un slip de Claude et me demande dans son bel accent chantant:

À qui sont ces petites culottes tante Yvonne?

— À Claude.

— Oncle Claude?... Comme il a de petites fesses oncle Claude! Tu devrais voir les fesses de mon papa. Lui il a de grandes fesses.


Je ne suis pas allée vérifier…

Nous avions convenu qu’après un séjour d’une semaine chez eux à Palavas, nous les amènerions faire une tournée à Aix, Arles, Aigues-Mortes, Avignon.

Le premier soir à Aix, Françoise qui était habituée à gérer un budget modeste d’étudiant et qui ne voulait pas grever le nôtre avait déjà réservé une chambre à prix raisonnable à l’hôtel LA MULE NOIRE. Minimal en effet fut le prix et minimal aussi le confort : une chambre exiguë pour quatre, deux lits étroits aux matelas antiques, toilettes turques et lavabo à l’extérieur. Seul luxe, un paravent défraichi pour une certaine intimité. Bref nous y avons quand même dormi et nos rires valurent bien cinq étoiles.

Pour les étapes suivantes c’est nous qui choisissions les gîtes.

Cocasserie de la mémoire, nous avons oublié les noms de ces gîtes plus confortables mais jamais oublié celui de LA MULE NOIRE.

mercredi 15 octobre 2008

La belle et la bête

Le programme en art que je donnais aux adultes au Cégep de Jonquière contenait des cours de dessin avec modèles vivants.

Un jour, mon modèle féminin, une jeune femme d’une grande beauté, me demande si son copain peut entrer dans la salle de cours.

C’est lui qui me transporte, dit-elle. Il va se faire discret.

N’y voyant pas d’objection, j’accepte.

C’est pour moi un choc lorsque je le vois entrer. Son compagnon est un homme laid, atypique et difforme.

J’essaie de contrôler les signes de mon étonnement et je l’invite à s’asseoir en arrière de la salle. Je le vois qui se plonge dans la lecture d’un bouquin, indifférent semble-t-il au fait que sa belle prenne la pose sur le podium.

J’ai beau suivre l’avancement des croquis de mes élèves, mon esprit demeure hanté par le paradoxe de ce couple. Pour moi, c’est la belle et la bête.

L’heure de la pause venue, je rejoins mon modèle revêtue qui cause avec son compagnon. Je découvre les yeux de cet homme. Le regard admiratif qu’il pose sur sa belle et les propos intelligents qu’il tient sur le livre qu’il a en mains me font oublier sa laideur. Je découvre alors sa beauté intérieure.

Cet homme intéressant et tendre avait une belle âme. La Belle qui le voyait avec les yeux du cœur le savait déjà.

L'automne

Certains préfèrent l’hiver pour le ski, la motoneige, les promenades romantiques sur la neige aux blancs subtilement variées. D’autres privilégient le printemps pour la vie renaissante avec sa gamme de verts tendres. Enfin, pour plusieurs, c’est l’été, la chaleur, les portes et les fenêtres ouvertes, les fleurs, les fruits et les vacances.

Moi, c’est l’automne que je préfère.

C’est la saison de la rentrée, du retour à la stabilité où la créativité reprend vie autour de soi.

Et puis, il y a les couleurs...!

Ce matin les Plaines d’Abraham m’en ont donné une belle démonstration. Le soleil chatoyant d’octobre allongeait les ombres des ormes sur le gazon émeraude, alors que les érables ici et là flamboyaient de couleurs chaudes. On aurait dit que la nature, tel un peintre généreux, vidait ses tubes de rouge, d’orangé et d’ocre dans un geste ultime pour créer un chef d’œuvre somptueux.

Voilà pourquoi j’aime l’automne.

Heure mauve

C’était en 1975 lors d’une exposition collective de peinture au Cégep de Jonquière. Un jeune couple me demande si je veux bien leur vendre l’œuvre intitulée HEURE MAUVE. Je conservais cette huile dans ma collection particulière et elle n’était pas à vendre. Je leur propose d’autres tableaux. Rien à faire, c’est celui-là qu’ils veulent.

À cette époque, je n’avais pas encore peint de personnages dans mes tableaux. Sans le savoir je m’y acheminais tout doucement. Des portes entrouvertes, de longs couloirs laissaient deviner une possible présence humaine. HEURE MAUVE s’inscrivait dans cette étape de mon cheminement. Comme son titre le suggère, c’était une huile monochrome dans des tons de mauve où on voyait une porte ouverte sur un espace clos et sombre et, adossée au mur du premier plan, une chaise droite, vide et noire. C’était un tableau énigmatique qui suggérait l’attente ou l’absence.

Quelques années passent. Le directeur de la galerie l’Heptade me demande de lui apporter de nouvelles œuvres à vendre. Plongée que j’étais dans un nouveau thème que je réservais pour une future exposition, je sacrifiai HEURE MAUVE.

Deux jours après, le tableau était vendu. Le galeriste m’explique :

Un homme a vu la toile dans la vitrine. Il est entré tout excité n’en croyant pas ses yeux en disant : « elle le vend? » Il nous a affirmé avoir eu naguère un choc lors d une exposition au Cégep et qu’il voulait l’acquérir.

Il s’appelait Pierre Caron.

Le mois suivant je lis avec stupéfaction dans le journal qu’une jeune dame venait de perdre la vie dans un accident. Elle était l’épouse de Pierre Caron.

HEURE MAUVE venait de prendre tout son sens.

Mystérieux cheminement d’une œuvre d’art.

Scène de ménage

Je ne me rappelle pas avoir vécu une scène de ménage aussi humiliante que celle-là. En fait, nous ne nous sommes jamais vraiment chicanés, Claude et moi.

Cela se passait un matin de janvier par un temps froid de vingt sous zéro. Ce matin-là, je donnais un cours à la première heure. Ma voiture, pour des raisons pratiques, avait dormi devant le garage alors que celle de Claude y avait passé la nuit bien au chaud à l’intérieur. J’étais pressée d’arriver à l’école et voilà que ma vieille Ford refuse de démarrer. Claude, en galant homme, s’habille prestement, sort de la maison et s’assoit à ma place. D’un seul coup, la voiture démarre. Souriant, il me cède ma place.

— Je te suis avec ma voiture.

Au premier coin de rue, ma voiture s’éteint. Rien à faire, elle ne veut pas obéir… Claude descend et me dit sèchement: Tasse-toi ! De nouveau un seul tour de clé de sa part et c’est reparti…Humiliée de plus belle je me demande même si je lui ai dit merci.

La moutarde me monte au nez…Pour mon malheur, autre intersection, autre panne! Là c’en est trop. Mon homme ouvre la portière et m’apostrophe ainsi :

— Cou'donc ! qu’est-ce-que vous avez vous autres, les femmes, avec la mécanique? !!!

Insultée dans mon égo, j’attrape ma serviette de prof, sors de l’automobile, m’empare de la voiture de Claude, démarre, lui laissant la vieille guimbarde.

Jamais mes collègues ne m’ont vue ainsi courroucée et me demandent de quelle tempête je sors.

— De la sempiternelle tectonique entre les forces de l’homme et celles de la femme aussi différentes qu’un moteur Diésel et une Ford à pédale.

Le soir, alors que je suis de retour à la maison, on sonne à la porte.

— Des fleurs pour vous madame.

C’était une douzaine de roses rouges de la part d’un champion en mécanique et … en réconciliation du cœur.

Saint Antoine

La foi transporte les montagnes mais pour mon père pas toujours aussi vite qu’il l’aurait voulu.

Papa vivait sa retraite à rendre service. Ses enfants pouvaient compter sur lui pour effectuer des travaux de menuiserie voire même des rénovations importantes. Il acceptait rarement de travailler en dehors de la famille.

Un jour cependant, il reçoit une demande de la Supérieure des religieuses Antoniennes de Chicoutimi. Elle connaît sa générosité et le sollicite pour effectuer des réparations au réfectoire du couvent. C’est donc avec son coffre à outils et ses mains habiles que mon père s’amène chez les bonnes sœurs.

Dès les premiers jours son beau marteau tout neuf disparait. Il a beau chercher partout. Rien.

— Je vais vous passer celui de la communauté, dit la religieuse qui s’empresse d’aller le chercher.

Elle lui apporte un vieux marteau tout branlant dans le manche. Difficile pour mon père de travailler avec un si vieil outil.

— Demandez à saint Antoine de vous aider à retrouver le vôtre, Monsieur Tremblay. Vous n’avez qu’à lui promettre une récompense, ne serait-ce que 25 sous. Mais surtout il faut que vous ayez la foi!

Les jours passent. Toujours pas son marteau. Lassé de travailler avec l’outil de fortune des sœurs, papa va à la quincaillerie s’en acheter un autre.

À la fin des rénovations, voilà qu’en soulevant une planche, il voit son marteau là, provoquant !

— Je vous l’avais bien dit, n’est-ce pas, que saint Antoine le trouverait? Quand on a la foi, on est récompensé.

Malgré le retard à être exaucé mon père se sent obligé de remplir sa promesse. Il plonge la main dans sa poche, prend une pièce de vingt-cinq cents et la lance au fond du réfectoire dans un amas de bran de scie :

— Tu m’as laissé chercher, saint Antoine… Cherche à ton tour!

Grand éclat de rire de la supérieure qui avait le sens de l’humour…

L'ennuyance

Je me souviens d’avoir vécu à l’adolescence des moments d’ennuyance. Par exemple, lors des retours de voyages où je laissais une vie trépidante pour retrouver une vie ordinaire… C’était l’ennui.

J’imagine que c’est ce que ressentait mon amie Louise lorsqu’avec André elle nous arrive un jour en disant :

— Comme notre vie est ennuyante, nous venons voir du monde…

Vie ennuyante ? Surprenant, quand on connaît le rythme de vie de Louise et André.

Il faut dire qu’ils venaient tout juste de terminer deux sessions en Histoire chez les ainés à l’Université Laval où André en est l’illustre professeur et Louise l’indispensable collaboratrice. Vie remplie s’il en est une.

Arrêter la cadence laisse sûrement un vide qui ressemble à l’ennui.

Louise, je connais de jeunes étudiants du troisième âge qui s’ennuient aussi après leurs passionnants cours hebdomadaires en Histoire.

Étudiante à Toronto

En 1981, la Galerie Cardigan-Milne de Winnipeg où je tiens une exposition prévoit des rencontres avec des journalistes, dont une entrevue à la télévision CBC.

Mes connaissances très limitées de la langue de Shakespeare se résumant à peu près à yes et no, l’entrevue fut, à mon sens, désastreuse.

Sitôt sortie des studios, ma décision était prise : je vais étudier l’anglais.

Fortuitement le Seneca College de Toronto offre des cours d’immersion anglaise en partenariat avec le Collège de Jonquière. Je m’y inscris pour la saison estivale et j’accepte la pension chez une dame charmante du nom de Barbara McKay.

Investie de mon statut d’étudiante, je vole vers Toronto laissant mon homme à sa débrouillardise pendant six semaines, bien décidée (rien de moins) à revenir bilingue.

En plus des cours au collège durant la semaine, les jours de congé me donnent des occasions de parler anglais.

C’est ainsi que dame McKay qui travaille comme bénévole à la Art Gallery of Ontario m’invite souvent à l’accompagner et je peux de ce fait rencontrer des gens et converser.

Un soir de première où tout le gratin mondain de Toronto afflue, Barbara me confie la responsabilité de distribuer l’appareil audio-guide aux visiteurs et de leur en expliquer le mode de fonctionnement. Belle occasion pour moi de pratiquer mon anglais.

Confiante en mes capacités, je m’enhardis à ajouter un peu de fantaisie à ma job. En ajustant l’appareil sur l’oreille de certains gentlemen, je les félicite, dans mon meilleur anglais, sur la beauté de cette partie de leur anatomie.

What so beautiful ear you have sir!
You thing so ? dit le quidam intimidé.

Un autre rétorque: It is the first time I receive such compliment. Thank you !

Un troisième dit à sa femme : You never told me… Is it true?

Je continue mon manège sous l’œil amusé de Barbara jusqu’à ce qu’un élégant monsieur me demande dans un français impeccable :

De quelle région de France venez-vous, madame?

Cet honorable consul de France à Toronto (il s’agissait bien de lui) m’a du coup prouvé que mon accent révélait que je n’étais pas une vraie English woman .

Je ne suis pas revenue totalement bilingue de ce séjour, mais je suis rentrée chez moi très contente d’en savoir un peu plus que lors de mon interview à la CBC de Winnipeg.

L'Opéra de Pékin

Pour remercier les Malo de leur généreux accueil à Sarasota, nous les invitons à assister au spectacle de l’Opéra de Pékin présenté en cette ville.

Laurent, alors âgé d’à peine trois ans, est assis à ma droite au théâtre. Comme nous tous il ne comprend pas les mots et me demande constamment :

Qu’est-ce qu’il dit?

Pour ne pas le décevoir, en m’inspirant de ce que je vois sur la scène, je lui invente des dialogues plausibles.

— Le prince dit à son amoureuse qu’il l’aime.
— Et elle, qu’est-ce qu’elle dit?
— Qu’elle l’aime aussi…
— Qui est-il celui qui vient d’entrer?
— C’est un rival qui veut lui ravir sa bien-aimée.

Fanny, la grande sœur de Laurent, avertit son petit frère de ne pas déranger grand-maman.

Mais, elle est allée en Chine avec grand-papa. Elle connaît le chinois.

Belle logique de notre petit homme.

Maintenant âgé de seize ans c’est lui qui pourrait me servir de traducteur car il étudie le mandarin et… il est allé aussi en Chine.

Les violons

Année faste en émotions que l’année mille neuf cent quatre-vingt-quatorze : exposition-rétrospective de ma peinture, publication d’un livre sur mon cheminement artistique, quarantième anniversaire de notre mariage et j’en passe.

Cet automne-là l’orchestre symphonique du Saguenay organise un concert-bénéfice et demande à ses abonnés des suggestions lucratives. Claude soumit la sienne en secret au chef Jacques Clément.

La salle est pleine. Nous occupons nos places habituelles à côté d’amis assidus. Le programme varié indique qu’il y aura des surprises.

Arrive la dernière pièce avant l’intermission. L’animatrice de la soirée, Valérie Cloutier, la présente ainsi :

— La prochaine pièce que jouera l’orchestre est dédiée à une artiste qui expose actuellement en rétrospective au Centre national d’exposition à Jonquière et qui célèbre cette année son quarantième anniversaire de mariage. Son époux a commandité l’œuvre en souvenir des premiers regards échangés…Voici Pizzicato Polka de Johann Strauss.

Au fur et à mesure de la présentation je figeais d’émotion. Tout ce que j’ai su dire à Claude fut : T’es fou, t’es fou… sans bon sens… Encore une fois il me surprenait.

Il faut rappeler pour la petite histoire que Claude et moi nous sommes connus lors du spectacle du tricentenaire du lac Saint-Jean où je dansais le rôle de la ouananiche imprudente sur la musique de Pizzicato polka de Johann Strauss.

À la pause, un ami dit à Claude toute son admiration et lui de répliquer :
— Pour la séduire autrefois je jouais en solo, maintenant il me faut l’orchestre au grand complet.

Très cher Amour !

Bear or berry ?

Il fait beau en cette chaude fin d’août. La manne bleue abonde aux alentours du lac Kénogami. Marie-Paule rêve de succulents desserts aux bleuets pour sa famille.

Tout l’après-midi elle cueille les grappes juteuses et remplit sa chaudière à plein bord.

Heureuse de sa cueillette, elle est sur le chemin du retour.

Un automobiliste de langue anglaise s’arrête en disant très fort : Bear!

— No, dit-elle avec un grand sourire, BERRY!

L’anglophone insiste en pointant son doigt derrière elle:
— Bear! bear!

Notre cueilleuse tourne la tête et voit à vingt pas d’elle un ours gourmand sans doute attiré par sa chaudière. Effrayée elle détale en laissant tomber toute sa cueillette.

Adieu tarte, pouding, galettes aux bleuets!


Anonymus

Souvent dans un musée on lit près d’un tableau ancien: auteur anonyme. L’anonymat existe encore dans des temps plus nouveaux.

En 1981 je reçus la commission de peindre le portrait officiel de Claude Vaillancourt, président de l’Assemblée nationale du Québec. Monsieur Vaillancourt, député de Jonquière, connaissait mon travail et me fit confiance. Le président précédent, Clément Richard, avait été peint par Jean-Paul Lemieux. Venir après ce dernier était grand honneur pour moi.

Toute fébrile, j’accepte de relever le défi. Au surplus c’est la première fois qu’on confie pareil mandat à une femme. Forte de la crédibilité qu’on m’accorde, je me rends à Québec pour signer le contrat devant le trésorier de l’Assemblée nationale. Celui-ci semble étonné du faible montant que je demande pour mon travail.

Je crois qu’il est de bonne éthique d’exiger selon ma cote, dis-je. Je comprendrai plus tard le motif de sa réaction.

Après trois mois de travail intensif le portrait est terminé et va rejoindre ceux de ses pairs dans la galerie des présidents du Parlement du Québec.

L’incident que je veux évoquer arrive quelques années plus tard.

Richard Guay succède à Claude Vaillancourt comme président. C’est Francisco Iacurto qui réalise son portrait.

Le journaliste Normand Girard, chroniqueur parlementaire, écrit dans le Journal de Québec un article dévastateur sur les éléphants blancs de l’hôtel du parlement où il révèle certaines dépenses qu’il juge excessives. Il cite notamment les portraits réalisés par Lemieux et Iacurto. Il révèle qu’ils ont coûté respectivement 40 000$ et 30 000$. Il mentionne qu’entre les deux, une artiste de Jonquière n’a demandé que 3 000$. Et d’ajouter : le tableau a aussi fière allure…

Même si cela était tout à mon avantage, j’ai bondi en voyant qu’il nommait les artistes qu’il jugeait excessifs et taisait le nom de l’artiste raisonnable. Ma lettre interrogative envoyée au journaliste n’a reçu ni accusé de réception ni réponse.

Anonymus was a woman, a dit Virginia Woolf.


Yvonne
19 août 2008