mercredi 13 mai 2009

Geste à l'italienne

Cette année-là, nos vacances d’hiver nous amènent au soleil du Costa Rica en compagnie de nos amis Suzie et Rodolphe. Selon l’agence de voyage nous devons nous joindre à un groupe de touristes à San Jose pour un grand tour du pays.

Le groupe se limite à six. À nous quatre s’ajoute un couple montréalais, Micheline et Georgio. Les premiers jours du tour ceux-ci restent discrètement à l’écart malgré nos invitations à se joindre à nous.

Un soir, Claude invite Georgio à prendre l’apéro au bar de l’hôtel. Idée géniale qui fait fondre la glace. Il apprend que Georgio est d’origine italienne et dirige à Montréal un atelier de manteaux haut de gamme pour hommes. Il vient d’ailleurs de livrer à New York les paletots en cachemire que porteront les acteurs du film Le Parrain. À partir de ce moment Georgio et Claude deviennent copain-copain.

Quand tu viendras à Montréal j’aurai un cadeau spécial pour toi.

Lorsque Claude me rapporte cela je le préviens :

Ne compte pas sur une promesse faite un verre à la main.

J’avais tort.

Quelques temps après notre retour au pays, lors d’un passage à Montréal nous donnons un coup de fil à Georgio et Micheline pour prendre de leurs nouvelles. Ils nous convient pour un apéritif. En entrant chez eux je vois une table dressée dans la salle à manger, signe manifeste de leur intention de prolonger la rencontre. Repas généreux, délicieux et bien arrosé.

Au moment de notre départ, Georgio ouvre une penderie, en sort un manteau de cachemire gris et le fait essayer à Claude.

J’espère avoir la bonne taille… C’est pas mal, mais essaie aussi celui-là.

Ce deuxième est un manteau noir de cachemire plus fin comme en portera Marlon Brando dans le film cité plus haut.

Claude ne sait pas comment prendre la chose…

Lequel choisir? demande-il, en sortant son chéquier?

Georgio refuse tout paiement.

C’est un cadeau… et il lui tend les deux manteaux.

Nous sommes confus devant tant de générosité à l’italienne.

En boutade, j’ose dire :

Dommage que tu ne fasses pas de manteaux pour les femmes.

En souriant Georgio ajoute à l’intention de Claude qu’il aurait dû en apporter un autre plus sport.

De retour à Jonquière, un courrier spécial livre pour Claude le modèle sport oublié et pour moi un élégant manteau rouge.

Comment les remercier pour tant de largesse?

Nous les invitons à venir visiter notre région qu’ils ne connaissent pas au cours de l’été. Claude prend congé et organise une excursion en bateau sur le Saguenay suivie d’un repas au Privilège, le restaurant gastronomique de Chicoutimi.

Le lendemain, visite de mon atelier. Je les invite à choisir un tableau. Micheline est attirée par un et Georgio par un autre. Devant leurs hésitations, d’un geste à l’italienne rappelant celui de Georgio :

Les deux sont à vous.

Lorsque nous sommes revenus les saluer à Montréal j’ai été émue de voir mes tableaux placés bien en vue dans leur demeure.

dimanche 10 mai 2009

Sœur Georges-Antoine

Dès mon arrivée en 1946 à l’École normale de Nicolet dirigée par les Sœurs de l’Assomption, une religieuse attire mon attention. Elle s’appelle Georges-Antoine. D’allure altière, elle transcende parmi les autres, elle impose le respect et intimide à la fois. Son statut de musicienne-organiste la place déjà à part, mais en plus elle a deux frères prêtres dont un est évêque. Ce qui l’ennoblit pour l’éternité.

Monseigneur Georges Melançon est l’évêque dont il s’agit. Il est à la tête du diocèse de Chicoutimi, donc mon évêque. Cette appartenance me vaut de la part de sa sœur une attention privilégiée. D’emblée elle m’accueille dans la chorale et me retient parfois après les pratiques pour me donner des nouvelles du Saguenay et me faire entendre de la musique classique.

À l’époque le grégorien était le chant liturgique de l’Église. Chant mélodique d’une grande qualité mystique. Avec Georges-Antoine j’appris à le chanter et à faire la lecture de ses neumes, notes de forme carrée. À la fin de l’année elle amenait ses bonnes élèves passer leur degré au monastère bénédictin de Saint-Benoit-du-lac. J’ai vu là comment cette religieuse était tenue en haute estime par le prieur Dom Mercure. Ce dernier était aussi un personnage. Formé à Solesmes, il avait à son retour au pays donné un grand essor au chant grégorien.

À la rentrée de septembre 1947 sœur Georges-Antoine s’informe de mes vacances. Je lui raconte l’été merveilleux que je viens de vivre grâce aux fêtes du tricentenaire de la découverte du Lac Saint-Jean et de ma participation au spectacle qui m’a révélé l’art de la danse. Cette révélation l’amènera au cours de l’année à me demander de monter une chorégraphie lors de la fête de sainte Cécile.

Forte de sa confiance je me suis mise à l’œuvre et ai imaginé une danse sur la valse des fleurs de Tchaïkovski. Une dizaine de normaliennes, habillées de longues robes blanches et couronnées de fleurs, évoluaient sur scène en décrivant rondes et guirlandes. À la dernière note, d’une geste gracieux elles projetaient dans la salle une pluie de pétales de roses. Avec la prétention de mes seize ans, j’ose dire que c’était sublimement proustien!...

Vingt ans après ma sortie de l’École normale, je reçois un coup de fil d’un secrétaire de l’évêché de Chicoutimi. Il me demande si je suis bien cette Yvonne Tremblay qui a étudié chez les Sœurs de l’Assomption de Nicolet? À ma réponse affirmative il m’informe que quelqu'un aimerait me voir. C’est sœur Georges-Antoine venue visiter son vieux frère évêque mourant.

Je me rends la rencontrer avec bonheur. Au premier abord, j’ai mal à la reconnaître. Comme toutes les religieuses qui ont fait le virage vestimentaire, elle ne porte plus l’uniforme. Elle est vêtue d’un tailleur couleur marine. Ses cheveux, que je vois pour la première fois, auréolent de blancs son visage ridé.

Retrouvailles émouvantes de cette grande dame qui avec l’âge n’a rien perdu de sa superbe. Nous échangeons des souvenirs. Je lui dis ma reconnaissance pour l’ouverture aux arts dont je lui suis en grande partie redevable.

Je ne l’ai plus revue par la suite, mais c’est toujours avec une grande admiration que j’évoque son nom.

jeudi 7 mai 2009

Le tango

Claude vient d’avoir soixante-et-douze ans et moi soixante-et-sept. Nous assistons à un concert en plein air au kiosque Edwin Bélanger à deux pas de chez nous sur les Plaines d’Abraham.

Par cette chaude soirée c’est un quatuor de tango argentin qui est au programme. Dès la première pièce nous sommes conquis par la couleur sensuelle du bandonéon. À la deuxième, un couple de danseurs s’avance sur la scène. Ils sont beaux et élégants. Lui, cheveux gominés, tout de noir vêtu. Elle, talons aiguilles, robe rouge à la jupe fendue jusqu’à la taille. La danse qu’ils exécutent est un dialogue de mouvements audacieux, érotiques et sublimes. Tout le spectacle est pour nous pur enchantement. Nous rentrons à la maison en fredonnant des airs de Piazzolla et la tête pleine d’images vivifiantes.

Coïncidence, Le Soleil publie quelques jours plus tard un reportage sur les écoles de tango de Québec.

Que dirais-tu de suivre des cours de tango, Claude?

— Encore, faudrait-il savoir s’il y a une limite d’âge.


J’appelle une des écoles et on me répond:

C’est comme pour Tintin…de sept à soixante-dix-sept ans…

Nous voilà inscrits.

Un monde nouveau s’ouvre à nous. Nous y découvrons des gens charmants dont on ne sait ni le nom ni le statut social, mais qui partagent une passion commune : le tango. Ce n’est qu’au cours de conversations occasionnelles qu’on apprend que l’une est chirurgienne, l’autre vendeur, ingénieur, enseignante...

L’apprentissage du tango n’est pas facile car les danseurs doivent se mettre dans la peau de personnages, macho pour l’homme, séductrice pour la femme. Nous apprenons le maintien du corps, les pas, les figures, mais surtout les rôles dévolus à chaque partenaire. Celui de l’homme est exigeant : il dirige la danse selon la couleur et le rythme de la pièce musicale tout en laissant à sa partenaire des espaces à sa fantaisie. Pour y arriver il doit apprendre à communiquer son intention de façon non verbale. De son côté, le rôle de la femme est non moins difficile. Elle doit être docilement à l’écoute de ce que veut son partenaire tout en apportant à la chorégraphie les embellissements sensuels qui rendent le tango si séduisant.

Lors d’une session intensive, un professeur argentin, Herman, nous a traduit cette idée fondamentale par cette formule : En tango, l’homme voyage, la femme pas pense. Pas facile à accepter pour la féministe que je suis.

Sessions après sessions, nous suivons assidument des cours. Nous y prenons grand plaisir. Notre ambition n’étant pas de faire carrière nous décidons après quatre ans d’arrêter les cours. Nous sommes encore des néophytes. L’intérêt demeure cependant. La musique de tango est présente chez nous. Nous allons parfois danser dans des milongas. Et si un spectacle de tango est à l’affiche, les billets sont vite réservés.

Cette passion nous a menés en 2008 en Argentine, là où cette danse à commencé il y a plus de cent ans. Ce pèlerinage nous a montré que le tango demeure vivant à Buenos Aires. Les spectacles à grand déploiement abondent le soir dans les salles de même que les petites prestations spontanées à toutes heures du jour dans les rues.

Ce voyage a cristallisé à jamais notre amour du tango.

mercredi 6 mai 2009

Choc des mentalités

Quelques années après la mort de maman, mon père épousa Yvette, une veuve de notre voisinage, qu’il avait connue de façon très romantique en lui portant secours lors du bris de sa corde à linge.

C’était une personne gentille et attentionnée mais elle avait des idées bien arrêtées sur le rôle traditionnel des femmes, ce qui me mit souvent dans l’embarras.

À l’époque, nos quatre enfants allaient tous à l’école. J’avais repris mon travail d’enseignante. De plus je suivais des cours de spécialisation en art au cegep et à l’université.

De sa fenêtre Yvette voyait mes allés et venues et ne pouvait s’empêcher de faire ses remarques à mon père.

J’ai vu Yvonne à sa table de travail cette nuit. Il était bien une heure…Pauvre enfant ! Et ce matin, elle partait à huit heures pour l’école !

Papa qui passait me voir tous les jours constatait que tout allait rondement et que la famille s’accommodait bien de la situation. Il retournait rassuré jusqu’au prochain commentaire :

Elle ne doit pas avoir le temps de faire de la soupe tous les jours. Tiens, Raoul, va donc leur porter cette marmite pour le dîner.

Cela me mettait mal à l’aise, car papa oscillait entre les deux mentalités et scrutait les moindres traces de fatigue chez sa fille.

Un dimanche après-midi de décembre, nos voisins viennent nous rendre visite. Au moment de partir Yvette annonce qu’elle va cuire ses beignes du temps des fêtes.

Des beignes, s’écrit Yves, je ne me souviens plus quand j’en ai mangés.

J’ai beau lui faire de gros yeux désapprobateurs, Yves continue sur sa lancée en insistant sur sa situation de pauvre miséreux.

Quelle semonce il a eu droit après leur départ!

Lors du souper on frappe à la porte. C’est grand-papa qui remet à Yves un bol rempli de beignes encore chauds à partager.

Hein maman, ça valait la peine de me plaindre.


La conciliation travail-famille ne s’est pas faite sans heurt.

C’est un oiseau qui vient de France

C’est le titre d’une chanson qui a bercé mon enfance. Maintenant il évoque pour moi la genèse d’une grande amitié qui est née en deux temps.


1968

À deux jours d’avis la directrice du Centre culturel est prévenue que Les moineaux du Val de Marne, une chorale de quarante-cinq jeunes français, s’en vient à Jonquière. Il faut organiser un concert et les loger dans des familles. Avant Jonquière la chorale doit se produire à Chicoutimi.

La directrice en titre est prise au dépourvu. Elle doit partir en vacances avec toute sa famille. Elle m’appelle en catastrophe pour que je la dépanne. Devant son désarroi, j’accepte de la remplacer.

J’ai deux jours devant moi.

Pour le logement des choristes je mets à contribution les membres des Équipes de foyers de Saint-Raphaël, mouvement d’entraide efficace dont nous faisons partie. Le réseau se met en branle et en quelques heures les quarante-cinq moineaux trouvent un nid dans des familles d’accueil. Pour le concert je compte sur le bouche à oreille pour remplir la salle.

Le lendemain, changement subit au programme. Chicoutimi qui devait les recevoir se désiste. L’agent montréalais responsable de la tournée m’appelle pour que Jonquière sauve l’honneur de la région du Saguenay renommée pour son hospitalité. Je me remets à la tâche afin que les familles acceptent de loger nos jeunes deux nuits plutôt qu’une. Lorsque l’autocar des moineaux se présente au Centre culturel, les familles hôtes sont là pour les accueillir avec un large sourire.

Le lendemain la salle de concert du Centre culturel est remplie. Selon le directeur de la chorale, l’abbé Coutelle qui a logé chez nous, les chanteurs se sont surpassés ce soir-là. C’était la meilleure façon de nous exprimer leur reconnaissance.

J’ignorais à ce moment qu’un de ces moineaux deviendrait quelques années plus tard un grand ami.


1972

Invités au mariage de cousine Lisette à Chicoutimi, nous faisons connaissance de son époux, Michel, un parisien fort sympathique.

Dès les premiers contacts nous nous découvrons des atomes crochus et adoptons d’emblée ce nouveau cousin. L’espoir de mieux nous connaître est exprimé. Spontanément le jeune couple promet de venir chez nous le lendemain partager une bouteille de champagne de la noce.

Promesse tenue. Nous apprenons alors que nos tourtereaux se sont rencontrés grâce au programme d’échange franco-québécois pour la jeunesse. Lisette, participante à ces échanges, enseignait dans une école de la banlieue parisienne et c’est là qu’elle a connu Michel, étudiant en droit. La séduction opéra au point qu’il décida de prendre femme et pays.

Au fil de la conversation Michel nous apprend qu’il n’en est pas à son premier voyage au Québec. Il est même venu à Jonquière en 1968 alors qu’il faisait partie d’une chorale dont il était le trésorier.

J’ai gardé de Jonquière un souvenir particulier, car il y avait là au Centre culturel une jeune directrice qui nous a dépannés de façon admirable.

Claude et moi échangeons un sourire complice. Sans mot dire, il place sur la table tournante le disque des Moineaux du Val-de-Marne que nous nous étions procuré en 1968.

Michel surpris s’exclame:

Mais, c’est nous ?...

— Hé oui. C’est vous… Plus encore, la directrice par intérim du Centre culturel ce jour-là, c’était moi.

— Sans blague ?!...


Nous n’étions qu’au début d’une riche relation pleine de surprises.

vendredi 1 mai 2009

Le poulain

Un poulain nous est né. Ma sœur Marie et moi courrons à l’écurie.

Nous le trouvons allongé sur le côté dans le box. Mon père tente de l’amener boire au sein de sa mère. Il ne semble pas pouvoir se lever. Le nouveau-né est si faible que ses jambes ne peuvent le tenir debout.

Le vétérinaire consulté diagnostique un rachitisme sévère.

Vous pouvez tenter de le sauver en lui donnant un œuf battu dans du lait tous les jours. Un apport de protéine guérit souvent cette carence.

Me voici investie par le paternel de la responsabilité de la cure. Mandat que je prends à cœur. Tous les matins je prépare et fais boire la potion magique à mon petit poulain qui la happe de plus en plus goulûment.

Après quelques semaines il est si fort que c’est en courant qu’il vient à ma rencontre déguster son élixir quotidien. De petit qu’il était, le voici devenu haut sur pattes, fringant, vif et de fière allure. Le parfait profil du futur coursier dont nous avons besoin.

Il est sauvé! Je pars rassurée pour le pensionnat en septembre.

Quelques semaines plus tard, une lettre de ma mère m’apprend la mort de mon poulain. Sa hardiesse l’a amené imprudemment sur la route au moment où un camion y circulait à grande vitesse.

Vive fut ma peine, car cette fois il n’y avait pas de potion pour le ramener à la vie.